Quand Païdos redonnent visage à l’exil
“Dans ma valise, il y a… une chemise.” – Mongolie
Un tissu, un visage peint, un pays lointain qui bat encore dans la fibre. Entre deux drapeaux, la mémoire d’un foyer suspendu (c) Valérie Frossard
Sur la berge des Bains des Pâquis, des regards. Des mains. Des objets qui racontent plus qu’un passeport : des racines en mouvement, des enfances suspendues, des promesses d’avenir qui tiennent dans une valise.
L’exposition « Et toi, tu mettrais quoi dans ta valise? », portée par l’association HUMA, le centre d’urgence de l’association Païdos et orchestrée avec la photographe Valérie Frossard, met en lumière des familles qui traversent Genève sans toujours y trouver asile, mais qui y déposent, le temps d’un cliché, un peu de leur souffle. Ici, la précarité s’expose avec pudeur. La dignité se photographie en clair-obscur. Et chaque image devient une prière silencieuse adressée à la tendresse.
Sur la berge des Bains des Pâquis, les murs deviennent des pages ouvertes. Chaque valise exposée au grand air raconte une histoire d’exil et d’espérance. (c) Valérie Frossard
Des objets comme des boussoles
Le projet a germé au sein de l’HUMA, cette structure d’accueil née en 2019 à Vernier, aujourd’hui refuge pour quatre-vingts âmes venues de Mongolie, du Pérou, du Cameroun ou d’ailleurs. Les familles y séjournent trois mois, le temps de reprendre souffle avant la suite du voyage. Trois mois pour se reconstruire, pour que les enfants retrouvent l’école, pour que les parents puissent, un instant, poser le poids de la route.
“Dans ma valise, il y a… un doudou El Nini.” – Pérou Deux petites mains, un ours en peluche, des crayons de couleur. Le poids de la tendresse face à la légèreté du rêve (c) Valérie Frossard
Photographier l’humanité
De cette expérience, l’HUMA a voulu tirer un projet d’humanité partagée : offrir aux familles un espace pour raconter leur histoire autrement avec un objet, choisi comme témoin: une robe cousue par les grands-parents au Cameroun, des bonbons de Mongolie, une main dessinée par un enfant… Autant de symboles du lien, du courage, de la survie.
La photographe Valérie Frossard a monté un studio éphémère dans une chambre inoccupée du foyer. Les familles ont choisi leur objet, posé avec lui, puis sélectionné la photo qui leur ressemblait le plus. Les enfants y ont ensuite apposé leurs dessins — des traits d’encre pour conjurer le déracinement.
“Dans ma valise, il y a… des bijoux.” – Bangladesh Des éclats d’argent pour dire la beauté, même en exil (c) Valérie Frossard
L’art comme refuge
Cette exposition n’est pas qu’un projet artistique : c’est une manière de ré-humaniser la migration, de faire exister ces récits invisibles autrement que dans les statistiques. Pour les travailleurs sociaux comme pour les familles, c’est une respiration. « On découvre les gens à travers leurs forces, pas seulement leurs difficultés », confie Cécile Poulaillon, coresponsable de l’UMA.
Chaque photographie devient un miroir inversé : celui d’un monde où la fragilité est aussi une force, où la mémoire se tisse entre les cultures, et où la main tendue — celle de l’autre — devient le plus beau cadre possible.
“Dans ma valise, il y a… un poncho.” – Pérou Un panda emmitouflé dans les Andes imaginaires. L’enfance comme abri, le dessin comme boussole (c) Valérie Frossard
Tête-à-tête avec Cécile Poulaillon, coresponsable du projet HUMA
Quel a été le moteur de cette exposition ?
On voulait donner aux familles la possibilité de se raconter autrement. Pas à travers les papiers administratifs ou les démarches, mais à travers ce qu’elles choisissent de montrer d’elles-mêmes : leurs objets, leurs souvenirs, leurs racines.
Comment les familles ont-elles vécu ce projet ?
Avec beaucoup d’émotion. Certaines sont revenues exprès pour le vernissage, alors qu’elles avaient déjà quitté Genève. Elles étaient fières, surtout de voir leurs enfants participer, de se sentir regardées autrement.
Et vous, qu’est-ce que cela vous a apporté personnellement ?
C’est un projet qui redonne foi en l’humain. Dans un contexte d’urgence sociale, on est souvent happé par la gestion, la fatigue, l’impuissance. Là, on a retrouvé la beauté, la créativité, la rencontre.
“Dans ma valise, il y a… un kit à insuline.” – Bulgarie Un sac à dos rayé, deux peluches et la rigueur de la survie. Parce qu’on transporte aussi ce qui soigne, ce qui maintient en vie (c) Valérie Frossard
Si vous deviez retenir une image ?
Une petite fille dessinant sur la photo de sa mère. Un geste d’amour simple, presque sacré. Comme si, en ajoutant sa trace, elle prolongeait le fil de la vie.
Exposition « Et toi, tu mettrais quoi dans ta valise? »
En collaboration avec HUMA et la photographe Valérie Frossard
Jusqu’au 30 novembre 2025
Bains des Pâquis