Quand la mode prend son futur en main

©Colin Dodgson, Vogue, Mars 2017. Stella McCartney dans une de ses créations en fausse fourrure, pour le magazine Vogue

Notre époque et ses enjeux nous amènent chaque jour à repenser notre mode de vie. Au quotidien, nous recyclons, nous économisons nos ressources d’eau, nous prenons le vélo, les transports en commun, chaque action devient réfléchie et consciente. Mais certains domaines peinent plus que d’autres à prendre le pli, et la mode en fait partie. Une des industries les plus polluantes de nos jours, la seconde selon certaines études, la mode se voie aujourd’hui dans l’obligation de changer sa façon d’être. Le ton a été donné il y a maintenant plus de dix ans par un grand nom de la haute couture, Stella McCartney. Figure de proue de cette mode écoresponsable et éthique, son raisonnement a inspiré couturiers et marques plus discrètes, mais aussi de grandes enseignes telles que la marque espagnole Zara. Une lueur d’espoir semble apparaitre depuis quelques années. La prise de conscience de la nécessité d’une mode durable et éthique commence à entrer dans les mœurs des clients, mais aussi dans celles des créateurs. Quand mode et éthique finissent par s’unir.

De nouvelles valeurs

La mode, phénomène changeant et instable par excellence, vit de ces caractéristiques qui l’obligent à un renouvellement incessant. Chaque saison, ce sont des milliers de pièces qui sont créées, vendues, portées, et ce cycle infernal est loin d’être durable. Et pourtant, cet univers qui fascine et attire toujours autant, voit son visage changer. De plus en plus de marques, conscientes de l’impact de la mode sur l’environnement, mais aussi désireuse de correspondre aux attentes plus exigeantes de la nouvelle génération, parient sur l’éthique et l’éco-responsabilité. Une nouvelle vague de créateurs voit alors le jour, des passionnés de cet univers qui vivent avec leurs temps et sont déterminés à changer les choses sans pour autant faire de la mode notre ennemi juré à tous.

Faire du shopping, à notre époque, parait presque indécent. La culpabilité nous ronge lors de chaque achat, et pourtant nos habitudes de consommation ne semblent pas décroitre. Heureusement, les marques ont compris cela, et de nombreux nouveaux labels surfent sur cette vague de la mode éthique et écolo qui touchent de plus en plus de clients en quête d’achats responsables et durables. La figure de proue de cette tendance est sans conteste Stella McCartney. Elle bannit la fourrure, le cuir, et les plumes des podiums pour se concentrer sur des matières n’étant pas issues de ressources animales et au minimum de ressources naturelles, faisant ainsi appel aux nouvelles avancées technologiques. Dix ans après la créatrice britannique, des maisons de haute couture commencent elles aussi à laisser derrière elles l’emploi de matière animal, mais la route est encore longue, et l’enjeu loin de se limiter aux marques de luxe. Le consommateur lambda et désireux de se constituer une garde-robe éthique et durable doit donc s’échiner à dénicher ces nouvelles marques, souvent basées sur la côte Ouest des Etats-Unis, ou en Scandinavie, pour trouver son bonheur. Et joie (!) elles sont de plus en plus nombreuses.

©Celeste Sloman, Yael Aflalo, fondatrice de la marque Reformation

L’éloge de la transparence

Parmi ces nouveaux labels, certains se détachent et viennent tirer la corde sensible. La marque de baskets Veja est certainement un des exemples, et des succès les plus flagrants de la mode eco-friendly. Le projet de la marque ? Créer des baskets à partir de matériaux recyclés, qu’il s’agisse de bouteilles plastiques, de chutes de l’industrie textile, ou alors de polyester recyclé, le tout produit dans une usine au Brésil où les conditions de travail sont respectueuses des employés, tout comme leurs salaires. Pour Veja, l’éthique part donc du produit mais s’étend à la totalité de sa production, prenant en compte non seulement l’aspect écologique mais aussi social qui sont tous deux des points faibles, depuis toujours, de l’industrie de la mode. C’est le principe de « radical transparency » qui s’applique ici, un principe également présent chez la marque californienne Everlane, qui ne cache rien à ses clients. Du prix d’achat des matériaux, au salaire des ouvriers, tout est fièrement énoncé aux acheteurs, justifiant ainsi le prix de chaque pièce. Cette transparence parait alors indissociable de notre époque, et d’une génération qui veut pouvoir tout faire en connaissance de cause. La marque Reformation, également née en Californie, puise ses matériaux dans les fabriques de textile, créant des robes aux silhouettes féminines et ensoleillées à partir de tissu gâché, destiné à finir à la poubelle. L’aspect social n’est pas non plus en reste pour la marque, dont l’usine est basée elle aussi en Californie, et peut même être visitée par les clientes de la marque, portant ainsi la transparence à un tout autre niveau, et séduisant la jeune génération à qui on ne peut plus rien cacher.

L’éthique s’étend alors, et cette nouvelle mode porte en elle de nouvelles valeurs : des matériaux durables et recyclés, des ouvriers payés à la hauteur de leur travail, des vêtements qui vous dureront toute une vie, et non pas le temps d’une courte saison. Car derrière ces marques se cachent également un nouveau mode de vie de plus en plus répandu, et propre à une génération qui craint pour son avenir. La surconsommation est maintenant décriée, désormais posséder toutes les dernières pièces tendance n’a plus autant d’importance, ce qu’il faut c’est se construire une garde-robe faite de basiques durables qui traverseront les saisons sans broncher. Evidemment, le shopping est loin d’être mort, sans la volonté d’achat des clients ces marques n’auraient pas pu voir le jour, mais elles attirent car acheter éthique c’est acheter sans culpabilité. Faire son shopping chez ces créateurs, c’est bien plus qu’acheter un vêtement, c’est se conformer à un nouveau lifestyle, adhérer à une cause, et participer aux changements qui bouleversent le monde de la mode. Ces marques parfois encore confidentielles prennent de plus en plus d’ampleur, mais nous pouvons également noter les efforts de grandes enseignes telle que Zara qui s’est lancé le défi de ne produire que des vêtements durables d’ici à 2025, soit en utilisant des tissus issus de production excluant tout pesticide, soit à partir de vêtements recyclés. Une initiative majeure qui pourrait servir d’exemple à d’autres enseignes et changer notre mode de consommation à une plus grande échelle. Le monde de la mode semble enfin prendre conscience de ces enjeux majeurs et semble prêt à changer pour le meilleur.

©Everlane, Campagne publicitaire 2018 « Facile à jeter, mais mieux de la porter »

Acheter éthique ce n’est alors plus seulement éviter le cuir et la fourrure, cela va désormais beaucoup plus loin, et ce grâce à une génération soucieuse de son avenir et de celui des autres. La mode, largement critiquée pour les conditions de travail qu’elle impose à ses ouvriers, pour son gaspillage, et sa consommation excessive des ressources naturelles, est en train de changer, remodelée par les convictions d’une nouvelle génération de designers qui ont compris ce que les acheteurs en mal de transparence désiraient. Ce nouveau mot d’ordre qui parait si propre à la jeune génération est parvenu à secouer une industrie majeure tout en continuant de la rendre attrayante en changeant ses valeurs. Un joli tour de magie qui n’en est qu’à ses prémices.