Quand la lampe prend la pose

Carmen D’Apollonio dans son théâtre lumineux, entourée de ses créatures cabossées (c) DR

Carmen D’Apollonio, c’est la magicienne suisse qui fait trébucher les objets pour les faire tenir debout autrement. Elle ne sculpte pas des lampes : elle invente des personnages de lumière, drôles, tendres, imprévisibles. Des lampes qui n’éclairent pas seulement les pièces, mais les vies ainsi que notre cover de septembre. Chaque pièce est une créature d’argile ou de verre qui se plie, se cambre, ploie et éclaire — mi-champignon, mi-chapeau, mi-fleur tombée du ciel. Un bestiaire lumineux, quelque part entre poésie domestique et sculpture déjantée.

Plongée électrique dans son théâtre lumineux.

Chez Carmen D’Apollonio, la lampe n’est pas un objet. C’est un caractère, une humeur en céramique, une voix muette qui éclaire en soupirant. Ses globes d’argile s’agrippent aux tables comme des poulpes amoureux, ses abat-jours cabossés se penchent tels des têtes trop lourdes de songes, ses silhouettes vacillent et titubent comme des funambules en équilibre fragile.

(c) Carmen D’Apollonio

Ici, la matière se fait capricieuse : l’argile s’accroche comme un enfant à sa mère, le verre dégouline en larmes de lave, le tissu s’empâte en coussins-jambes qui tiennent des halos. Rien n’est droit, tout est vivant. On ne regarde pas une lampe : on la croise, on la rencontre. Certaines nous sourient de travers, d’autres semblent baisser les yeux. Elles nous dévisagent autant que nous les contemplons. Son imaginaire incandescent nous a happés : impossible de résister à sa créativité débridée, qui illumine la cover de notre numéro de septembre.

(c) Carmen D’Apollonio

À New York, chez Friedman Benda, D’Apollonio dévoile sa nouvelle constellation lumineuse. Le verre, fluide et imprévisible, s’invite désormais dans la danse. “Il dégouline et échappe”, dit-elle, comme une coulée de matière vivante. Certaines lampes se dressent telles des champignons translucides, d’autres se recroquevillent comme des personnages méditatifs ou des fleurs alourdies par leur propre parfum.

(c) Carmen D’Apollonio

Avec “Salut, Ça va, C’est Moi”, sa quatrième exposition solo chez Friedman Benda, Carmen D’Apollonio pousse plus loin son théâtre lumineux. Ses lampes se muent en véritables acteurs : certaines chutent en cascade des piédestaux, d’autres surgissent des murs, s’allongent au sol ou pendent du plafond comme des acrobates suspendus. L’introduction d’abat-jours en verre marque un tournant : ils ne dissimulent plus, ils révèlent, réfractent et reflètent, comme si la lumière cessait de se cacher pour enfin se mettre à nu. Même les titres des œuvres – fragments intimes, drôles ou mélancoliques – ressemblent à des confidences murmurées à l’oreille du visiteur. Des lampes qui ne se contentent pas d’éclairer : elles respirent, elles s’animent, elles nous tiennent compagnie.

(c) Carmen D’Apollonio

Et pour prolonger cette scène, un livre d’artiste en édition limitée, photographié par Stephanie Kunz, accompagne l’exposition, comme un carnet de coulisses où la magie se laisse apprivoiser.

(c) Carmen D’Apollonio