Poor Things, quand la mode se fait personnage
Poor Things de Yorgos Lanthimos ©DR
La nouvelle création cinématographique de Yorgos Lanthimos peut sans équivoque être qualifiée d’OVNI du grand écran. Dans cette histoire, portée majestueusement par une Emma Stone comme on ne l’a jamais vue, les lois de la nature et du possible semblent disparaître. Un film qui surprend et laisse sans voix, où le récit est également servi et appuyé par un accessoire porteur de nombreux symboles : le costume. Empruntant une esthétique unique et démesurée, mélangeant les périodes temporelles et accumulant les styles, la costumière du film Holly Waddington a imaginé un monde de tissu aux confins d’une mode d’un univers parallèle. Alors que le film séduit des spectateurs nombreux dans les salles de cinéma du monde entier, nous avons voulu nous pencher sur les tenues qui jalonnent cette histoire trépidante et étonnante. Décryptage d’un dressing hors du commun.
Difficile de ne décrire qu’en quelques mots la nouvelle création cinématographique de Yorgos Lanthimos. Comédie décousue, coming of age démesuré ? Récit de la vie d’une enfant créée par un scientifique, devant une femme libérée, Poor Things invite le spectateur à observer le personnage de Bella dans sa découverte des horreurs et des bonheurs qui jalonnent une existence. Poor Things a fait couler beaucoup d’encre depuis sa sortie sur le grand écran. Le jeu d’Emma Stone a lui été plus que salué par la critique, récompensé lors des cérémonies de ce début d’année, inscrivant par la même occasion cette création cinématographique dans les films qui en marqueront l’histoire.
Si le récit teinté de folie est au centre de toutes les conversations, un aspect du film ne peut s’empêcher d’attirer tous les regards : les costumes. Composés et imaginés par Holly Waddington, ils servent l’histoire du personnage de Bella, marquant par leur évolution celle qu’elle traverse elle aussi, à travers son corps et son esprit. Dans une interview donnée à une publication américaine, la costumière résumait ainsi les directives du réalisateur, « La seule consigne était de ne pas créer une garde-robe se limitant aux exigences d’un film d’époque inscrit dans les années 1880, ni de verser trop loin dans l’esthétique de la science-fiction. Yorgos m’avait donné comme unique image de référence la création d’un jeune designer, des pantalons gonflables qui venaient créer cette forme aux courbes exagérées de manière extravagante ». La garde-robe devait alors faire bien plus que couvrir le corps du personnage principal. Les vêtements qu’elle porte avaient pour mission de représenter son évolution, du stade de l’enfance à sa découverte du monde, dans un grand tour à travers l’Europe, où Bella voit également naître sa sexualité. « Les vêtements devaient changer avec elle » ajoutait la costumière. Au centre de son inspiration, on retrouve des coupes piochées dans des carnets de mode d’époque, mais aussi des pièces des années 1930, des chaussures du space age 60’s dessinées par André Courrèges, des motifs rappelant les créations de Elsa Schiaparelli ou encore de Pierre Cardin.
À l’écran, l’évolution de la garde-robe de Bella se fait évidente, les tenues enfantines se métamorphosant au fil de ses expériences en des vêtements porteurs d’une grande féminité. Un leitmotiv s’inscrit dans la totalité du film : les manches. Toujours exagérées, elles rappellent à un temps passé sans nous permettre de les assimiler à une période précise. Le paroxysme de cette épopée vestimentaire est sans aucun doute atteint par la robe de mariée, imaginée comme une cage l’enfermant jusqu’au cou. Mais le tissu sélectionné, transparent et révélateur, permet de garder une certaine légèreté, parlant du parcours de Bella, tandis que la forme du modèle rappelle la notion d’enfermement assimilée au mariage, notamment à cette époque. Un rappel que la mode est elle aussi porteuse de plus d’un discours, et raconte l’histoire de ceux qui la porte.
Poor Things de Yorgos Lanthimos, au cinéma depuis le 17 janvier 2024