Opéra, exils et métamorphoses

Pelléas & Mélisande Gleeson Paulino / Untitled, Egypt, 2023
Pour sa dernière saison à la tête du Grand Théâtre de Genève, Aviel Cahn ne dit pas adieu, il murmure une énigme. Une saison-slogan : Lost in Translation. Comme un clin d’œil à l’inconnu, à ce qui nous échappe, à ces silences pleins entre deux langues, deux époques, deux partitions. Un thème polysémique, entre beauté du malentendu et vertige du déplacement. Le programme, lui, joue la carte de l’exploration : esthétique, géographique, spirituelle.
Un théâtre en mouvement
Cette saison 25/26 n’est pas seulement la dernière du directeur Aviel Cahn, c’est aussi celle d’un théâtre qui se met en chantier – littéralement. Des travaux de machinerie imposent au GTG de sortir de ses murs. Et c’est peut-être là que réside la grâce du propos : rien n’est figé, tout se traduit, tout se déplace. L’opéra devient nomade, comme ses héros. Certaines productions investissent ainsi le Bâtiment des Forces Motrices, vaste nef industrielle reconvertie en scène spectaculaire. D’autres s’invitent au Pavillon de la danse, en collaboration avec l’ADC et La Bâtie – Festival de Genève. Même les parcs de la ville deviennent écrin d’un soir, comme le Parc de la Perle du Lac ou le Parc des Eaux-Vives, où l’opéra s’écoute sous les étoiles.

Visuel de saison © Trent Parke / Magnum Photos
Entre grands mythes et utopies pop
On ouvre fort avec Tannhäuser de Wagner, mis en scène par Tatjana Gürbaca – relecture d’un homme coincé entre art sacré et désir profane, entre vénusberg et rédemption. Un opéra du tiraillement, parfait pour entrer dans cette saison de passages. On poursuit avec une rencontre explosive : Pelléas et Mélisande de Debussy, revisité par un trio d’exception – Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramović. Corps, image, mémoire : tout s’y entremêle, à la frontière de l’opéra et de la performance.
Puis, un souffle américain avec Un Américain à Paris de Gershwin – pour la première fois en Suisse – où le swing flirte avec la comédie musicale et la grande musique. Et un retour aux larmes avec Madame Butterfly, confiée à la metteuse en scène Barbora Horáková : tragédie de l’amour perdu, récit d’un monde mal traduit.
Un opéra rock signé Zappa
Clou final, ovni absolu : 200 Motels de Frank Zappa. Un opéra psychédélique, halluciné, mêlant orchestre classique, rock band et visuels acides. C’est Daniel Kramer qui s’y colle, avec l’OSR, des musiciens de la Haute École de Musique et une dose assumée d’irrévérence. Parfait point final pour une saison sans balises.
Traduire ou trahir ?
Ce que cette saison nous murmure ? Qu’il n’y a pas besoin de tout comprendre pour ressentir. Qu’entre deux langues, deux gestes, deux partitions, il y a un espace à habiter. Un territoire sensible où les corps parlent, les voix tremblent, et les symboles se déforment. Lost in Translation, c’est un thème, oui. Mais c’est surtout un état d’esprit. Un appel à se laisser perdre pour mieux se retrouver.
Le chant du cygne d’Aviel Cahn
Pour sa dernière saison à la tête du Grand Théâtre de Genève, Aviel Cahn ne dit pas adieu, il salue l’inattendu. Une saison-titre : Lost in Translation. Comme un clin d’œil à ce qui se dérobe, à ce qui se cherche, aux silences entre deux langues ou deux notes. Le programme, lui, explore toutes les zones grises, les glissements d’univers, les malentendus productifs. Ceux qui, parfois, révèlent plus qu’ils ne brouillent.
Et nous, spectateurs, on se laisse glisser dans ces interstices du sens, heureux de s’y perdre. Car souvent, ce qui se brouille dans la traduction se révèle ailleurs — dans un frisson, une lumière, une émotion.
Grand Théâtre de Genève
Bd du Théâtre 11, 1204 Genève
Tél. 022 322 50 50
www.gtg.ch
