Otello : quand la musique sauve les mots
Otello de Verdi à l’opéra National du Rhin (c) Klara Beck
A Strasbourg, l’Opéra National du Rhin présente un nouvel Otello, l’occasion de montrer que la maison de l’Est sait voir les choses en grand : double-chœur et orchestre pour rendre tout son ampleur à Verdi. Mais la nouvelle production signée Ted Huffmann se révèle timide et manque de profondeur.
Mercato lyrique
Les planètes sont alignées : alors qu’Alain Perroux a longtemps accompagné le regretté Pierre Audi au festival d’Aix-en-Provence, le directeur de la scène lyrique de Strasbourg vient de recevoir Ted Huffman pour mettre en scène Otello, celui-là même qui vient d’être annoncé pour reprendre les rênes du rendez-vous lyrique estival. Quant à l’actuel directeur de l’OnR, il reposera bientôt ses valises à Genève pour y diriger le Grand Théâtre.
Loin des opéras à effectifs pachydermiques, entre multiples intrigues et tableaux monumentaux, celui créé en 1887 comporte une réelle efficacité dramaturgique. En quelques mots, le général Otello revient triomphant par les mers déchaînées à Famagouste, à une époque où la République de Venise régnait de la côte dalmate jusqu’à la Crète. Mais son homme-lige Iago, frustré d’une promotion non-confirmée, distillera le poison de la jalousie au vainqueur, contre l’épouse Desdémone. On devine la fin.
Otello de Verdi à l’opéra National du Rhin (c) Klara Beck
Manque de propos
C’est là que le bât blesse : la mise en scène paraît bien prévisible. Si Ted Huffman s’inspire de « l’Italie méditerranéenne du milieu du XXe siècle : un monde où violence et raffinement cohabitent », on est déçu du propos –ou son absence– sur la violence faite aux femmes. Dans la proposition de l’artiste New-yorkais, Otello apparaît violent mais surtout comme une victime manipulée par un Iagocharismatique. Au lieu de questionner le « crime passionnel » propre à de nombreux féminicides, au lieu d’offrir une lecture qui complète un argument éculé –la femme victime, acceptant un destin injuste mais qui pardonne. On aurait pu espérer autre chose, un regard déconstruit sur la masculinité toxique. Si le thème est parfois passé au chausse-pied du spectacle vivant, il aurait ici toute sa pertinence. En revanche, on peut saluer le jeu des protagonistes, incarné, travaillé, propre à créer une proximité. Ainsi chaque membre du chœur est actif etsollicité. Par ailleurs, le dispositif scénique permet de basculer parfaitement des moments intimes aux grands tableauxd’ensemble.
Fosse énergique
En fosse, la cheffe d’orchestre Speranza Scappucci, élève de Riccardo Muti passée par la Juilliard School, pratique une conduite de caractère, présente et précise. En seconde partie, la maestra a tendance imposer sa battue aux chanteurs dans certains airs, alors qu’elle devrait les accompagner. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg déploie une ampleur sonore qui fait merveille dans la salle de l’Opéra du Rhin. Comme dans La Walkyrie de Wagner, Otello débute par une tempête, figurée ici avec vigueur. Les bois sont proprement délicieux d’expressivité délicate, et solo du violoncelle d’une tendresse infinie. On peut regretter des cuivres tièdes par moments, mais les Chœurs des opéras du Rhin et de Lorraine réunis l’occasion font fort impression (« Fuoco di gioia! »).
Des voix à suivre
Sur le plateau, Mikheil Sheshaberidze prend le rôle-titre à bras-le-corps, avec une présence scénique et vocale marquante. En seconde partie, il affine son chant et son jeu pour mieux rugir ensuite (« À terre, et pleurs ! »). Pour le ténor issu de la grande tradition géorgienne du chant, un petit regret, les aigus parfois difficiles. Le public genevois a pu l’apprécier en Micaëla dans la Carmen signée RheinhildHoffmann à l’Opéra des Nations : Adriana González s’est magnifiquement révélée en Desdemona. A l’aise, incarnée, elle chante magnifiquement son rôle, notamment les pianissimos à couper le souffle, par exemple « Ô Saule » à l’acte IV. A côté d’un Joel Pietro en Cassio charmeur, drôle et naïf, le Iago campé par Daniel Miroslaw est brillant. Rôle souvent campé en petit courtisan séducteur, c’est ici un manipulateur au faîte de son pouvoir, un réel « villain » charismatique.
De cet Otello, plateau et fosse subliment une partition dont la mise en scène aurait pu offrir une interprétation plus inspirée.
Otello de Verdi, livret de Arrigo Boito d’après William Shakespeare
Jusqu’au 18 novembre 2025
Opéra national du Rhin
19 place Broglie, BP 80320, 67008 Strasbourg, France