Obá : entre offrande et brûlure

La danse des jeunes garçons (2021)

Il entre en scène comme on entre en transe. Antonio Obá, plasticien brésilien habité, signe la couverture de notre numéro d’été avec une image qui ne crie pas, mais qui coupe net. Un homme noir, assis, une pastèque entre les mains — regard en retrait, tension sous la peau. Un geste simple, gorgé d’histoire, où les symboles changent de camp. Ici, l’exotisme s’évente, le cliché se fissure, le silence devient politique. Cet univers, viscéral et feutré, a marqué Genève cet hiver lors de Rituals of Care, exposition magnétique au Centre d’Art Contemporain. Trois mois de rituels, de rémanences, de confrontations sensibles entre le corps, la mémoire et le sacré. Pour prolonger le souffle : le catalogue de l’exposition paraît cet été chez Lenz Press, condensé d’œuvres, d’écrits et d’échos puissants. Un livre comme un chant intérieur — à feuilleter comme on écoute une prière.

Le solo show d’Antonio Obá Rituals of Care, accueilli par le Centre d’Art Contemporain à l’hiver dernier, fut une offrande plus qu’une exposition. Un corps-à-corps avec l’histoire, un chant intérieur d’où jaillissent douleurs, désirs, dignité.

La figure à la pastèque (2019)

Pendant trois mois, le visiteur passait sous des clochettes de laiton, foulait un tapis de feuilles mortes, et plongeait dans une peinture épaisse, charnelle, chargée d’héritage afro-brésilien et de spiritualité en filigrane. Le corps noir y devenait monument. Sensuel. Mystique. Politique. Obá ne peint pas pour représenter, il peint pour ressusciter.

Et parmi ses figures iconiques : non pas un soldat, mais un roi. Obá, en yoruba, signifie chef, souverain sacré. Une autorité ancestrale, non pas imposée, mais transmise, incarnée. Ses rois ne portent ni sceptres ni armes, mais des seaux, des gestes simples. Ils ne commandent pas, ils soignent. Ils ne marchent pas au pas, ils veillent. Le geste guerrier devient soin. Le pouvoir, service. Le rituel, résistance. Chez Obá, la force n’est pas domination. Elle est réparation.

Fables – bavardages inutiles (2022)

L’exposition s’est close en février, mais l’onde continue : le catalogue Rituals of Care vient de paraître chez Lenz Press. Une archive précieuse, habitée par les mots d’Andrea Bellini, Lorraine Mendes, Larry Ossei-Mensah. Un livre comme un autel. À feuilleter comme on allume une bougie. À lire comme on prononce un nom oublié.

Et tandis que le Centre d’Art Contemporain Genève plie bagage pour quatre ans de travaux — une mue attendue, un futur en devenir —, l’artiste brésilien poursuit, lui, son chemin entre les mondes : entre visible et invisible, entre mémoire incarnée et futur rêvé. Il rappelle que l’art peut être une prière, et le corps, un sanctuaire.

Étude d’un chanteur de chœur (2023)

Aujourd’hui, c’est à la Bourse de Commerce – Pinault Collection à Paris qu’on retrouve son souffle. Dans l’exposition Corps et âmes, Obá présente “Étude d’un chanteur de chœur” (Cantor de coral – estudo 2023), une peinture suspendue, habitée par un chant silencieux. Une voix sans bouche, un souffle sans cri, un écho sans fin. Le corps y devient vibration. Présence. Âme.

Antonio Obá ne cherche pas à plaire. Il invoque. Il élève. Et dans ses tableaux, le roi ne règne pas. Il guérit.

Portrait de l’artiste Antonio Obá (c) Diego Bresani