Nai que vaille
Nai Barghouti ©DR
Nai Barghouti vous ensorcelle dès la première écoute. Sa voix mêlant la maîtrise des maqâms de Fairuz, et du scat d’Ella Fitzerald, accompagnera ses musiciens et sa flutiste à l’Alhambra le 6 juin prochain. Hôte des Athénéennes, elle interprétera du jazz oriental, de la pop, et des classiques de la musique arabe en « Naistrumentation »: l’art d’utiliser la voix comme un instrument. Cette palestinienne, exploratrice infatigable, demeure fidèle à ses convictions et à sa vision artistique. Rencontre avec une passionnée passionnante.
Comment votre formation académique en musique, a-t-elle façonné votre style et influencé votre parcours artistique actuel ?
Je me suis lancée au Conservatoire Edward Saïd dès mes six ans, parce que c’était le seul endroit qui enseignait la flûte et je voulais être entourée de gens partageant le même amour pour la musique. J’ai continué jusqu’au master à Amsterdam, car il était important pour moi d’explorer l’histoire et les bases musicales profondément. Mais, ce qui a façonné mon style et unicité musicales sont surtout les influences musicales familiales : la musique classique, du jazz, du flamenco et de la musique indienne. Ma mère m’a transmis les bases du chant et ma sœur, l’amour de l’instrument.
Vos fans vous ont crée un néologisme – la naistrumentation, qu’est-ce donc ?
J’utilise ce terme pour décrire l’art d’utiliser la voix comme un instrument. Cela signifie que j’adopte une approche étoffée. Je me demande quels ornements dans mon chant je peux utiliser de manière instrumentale pour me connecter à l’auditeur, plutôt que d’utiliser ma voix uniquement pour exprimer le sens d’un texte. C’est un mélange de la technique de scat utilisée dans le jazz, ou dans la musique indienne et celle des maqâms arabes.
Vous avez collaboré avec Skrillex, lauréat de plusieurs Grammy Awards, sur son dernier album. Comment cette expérience a-t-elle enrichi votre perspective musicale ?
C’était une expérience très différente car je n’écoute pas beaucoup de musique électronique. J’ai rencontré Skrillex par l’intermédiaire d’un ami et nous avons tout de suite accroché. Je reste ouverte et j’évite de me limiter à une seule catégorie musicale. J’aime essayer et expérimenter. J’ai adoré travailler avec lui, c’est une personne géniale et un artiste respectueux, ce qui est malheureusement rare de nos jours dans l’industrie.
Comment vos peurs et vos aspirations ont-elles évolué depuis vos débuts ?
Quand on commence la musique, on est plus curieux, on veut juste apprendre et exécuter la théorie. Mais en grandissant, cela devient plus de la peur que de la curiosité. On fait face à des questions existentielles sur notre identité musicale et artistique, et aux compromis entre l’art et le marketing. En tant que femme, je fais face au racisme, au sexisme et à d’autres formes de discrimination. Chaque projet comporte ses défis. Je continue de me battre en avançant, en trouvant une communauté bienveillante et en restant fidèle à moi-même.
Vous êtes très engagée, pensez-vous que les artistes ont un devoir d’engagement social et politique ?
En tant qu’artiste, il me semble impossible de séparer l’art de mon humanité. Nous commençons tous l’art parce que nous voulons exprimer nos émotions. L’émotion est humaine, donc on ne peut pas séparer l’artiste de l’humain. Il est essentiel d’utiliser notre voix pour des causes justes. Mon engagement m’a enseigné l’importance de la solidarité et de l’espoir, et m’a montré comment la musique peut être un puissant outil de résistance et de résilience.
Comment gérez-vous l’actualité et comment cela influence-t-il votre musique ?
J’ai commencé la musique parce que c’était ma manière de m’exprimer. En tant qu’enfant vivant dans une région occupée, cela m’a beaucoup perturbée. Mes origines sont toujours avec moi, que je chante l’amour, la tristesse ou le bonheur. Cela fait partie de moi.
Votre dernière chanson traite du passage du temps et de la nostalgie…
Mon ami Jalal a écrit cette musique. Il vient d’avoir un enfant et les images des enfants blessés l’ont énormément touché. Il m’a envoyé une démo et j’ai adoré directement, cela m’a fait pleurer alors je l’ai reprise. Pour moi, la nostalgie représente souvent des souvenirs idéalisés, des souhaits irréalisés, des images d’enfance brisée, et un désir poignant de retour à une normalité paisible et protégée.
Que pouvons-nous attendre de votre performance aux Athénéennes ? Quels sentiments et thèmes souhaitez-vous transmettre au public ?
Ce sera un voyage à travers différentes émotions. Une diversité naturelle, avec de la nostalgie, de la tristesse, de l’amour, du bonheur. Un mélange de jazz, de musique arabe et de pop, mais intégré dans une vision artistique claire.
Quelles sont vos projets futurs ?
Je ne sais pas qui sera la Nai du futur. En tant que personne qui réfléchit trop, j’essaie de me concentrer sur mes objectifs à court terme et de ne pas m’angoisser. À long terme, je sais que je veux suivre ma vision et mes convictions artistiques, élargir mon audience, mais pas à tout prix.
Nai Barghouti & Friends
Alhambra – Rue de la Rôtisserie 10, 1204 Genève
6 juin 2024 -21h30
Plein tarif 60.-
www.lesatheneennes.ch