Mous Lamrabat: uppercut visuel et spirituel

©Mous Lamrabat, Louis the Clown, 2021
Une femme voilée dans un désert de sel, flanquée d’un drapeau smiley. Un keffieh en forme de cœur et une babouche qui flotte dans le ciel. Est-ce une pub pour Suprême, un manifeste, un collage mirage ou une claque paradisiaque? C’est tout ça à la fois. Bienvenue dans le monde décalé-sacré de Mous Lamrabat, photographe qui fait désormais le tour des galeries. D’Amsterdam à Londres, de CNN à Numéro, de C& à Instagram, son regard devient drapeau. Pas pour diviser. Pour fédérer.
Zoom sur ce prêcheur d’images qui bouscule sans brusquer et qu’on a décidé de kidnapper pour notre cover d’avril.
Identité(s) en embuscade
Il y a des artistes qu’on reconnaît avant de savoir leur nom. Des images qui claquent les talons de leur talent, qui intriguent, qui arrêtent le scroll d’un doigt distrait. Et puis, il y a ce moment où on tombe sur une photo signée Mous Lamrabat, avant que plus rien ne ressemble à avant.
Né à Temsamane, au nord du Maroc, mais élevé en Belgique, ce photographe qui shoote comme il respire a fait de son tiraillement identitaire une force de composition. Cet enfant des deux rives, pur produit du frottement entre orient et occident n’a jamais choisi entre ses identités – il les fait cohabiter, s’entrechoquer, danser. C’est son art. Son arme. Son ADN. Avant la photo, il y a eu le design d’intérieur. Mous a d’abord été styliste. Et ça se sent. Chaque image est construite comme une composition textile : couleurs franches, lignes nettes, accessoires choisis au scalpel. Mais ce qui compte, ce n’est pas juste le style. C’est ce qu’il narre en toile de fond.

Autoportrait ©Mous Lamrabat
Entre Balenciaga et burqas
Car derrière le pop, il y a du politique. Du profond. Une envie farouche de montrer un autre regard sur le monde arabe, sur les diasporas. Un regard tendre, drôle, parfois moqueur, mais jamais condescendant. Il joue avec les symboles, détourne les clichés, retourne les stigmates transformant une babouche en manifeste, un foulard en drapeau, un sourire en déclaration. Son esthétique? à la croisée d’un shoot de mode et d’un rituel soufi. Son travail? Une prière païenne. Une tentative douce de réconcilier les contraires. Il photographie les marges, mais avec le respect d’un pèlerin. Il détourne les codes, mais sans jamais les trahir. Il flirte avec le blasphème, mais pour mieux parler d’amour. Ce n’est pas du clash, c’est un mix Harissa – Xanax. Un hijab assorti à un logo Supreme, un keffieh et un smiley jaune. Chez lui, le sacré n’est jamais sacrifié, il est remixé.

Les clichés aussi graphiques qu’incisifs de © Mous Lamrabat
Une image, mille nuances
Mous, c’est le photographe qui shoote comme on lance un sort. Il invoque les identités, les juxtapose, les fait dialoguer. Il rend visible l’invisible, et surtout il le rend beau. Car derrière le folklore de ses mises en scène léchées, il y a une obsession pour la représentation. Pour ceux qu’on n’a pas l’habitude de voir en grand format. Pour ceux qu’on a toujours réduits à des clichés — les mauvais.
Il refuse qu’on fige son pays dans les clichés d’épices et de chèches pastel donnant au Maroc des airs de science-fiction, de mode futuriste, de satire visuelle. Il adore provoquer. Mais sans arrogance. Toujours avec humour, et avec cet amour évident pour ses racines, ses contrastes, ses contradictions. À chacun de ses clichés, on entend presque un sample de Gnawa remixé par Daft Punk. Ça percute, ça provoque, mais toujours avec le sourire et la tendresse de celui qui connaît ses racines par cœur.

©Mous Lamrabat To the Moon and Back #2, 2021 Courtesy of Loft Art Gallery
Des icônes post-modernes
Le plus fou, c’est que ses modèles sont souvent des proches. Des cousins, des voisins, des amis d’amis. Pas des mannequins, mais des gens vrais. Et c’est là que la magie opère : entre le folklore et le high fashion, entre le sacré et le kitsch, entre le sourire et le malaise, il crée quelque chose de profondément humain. Une photo qui vous observe autant que vous la regardez.
À une époque où l’image est jetable, Mous Lamrabat a ce don de créer des icônes. Des visions qui restent. Qui dérangent parfois, qui font rire souvent, mais qui ne laissent jamais indifférent. Il fait partie de cette rare tribu d’artistes capables de faire passer un message fort sans hausser la voix. Il photographie comme on chuchote à l’oreille du monde. Il shoote comme on envoie des messages codés. Avec des symboles, des détournements, des silences aussi. Il parle d’identité, de genre, de religion, de société de consommation. Mais il ne brandit rien. Il montre. Il suggère. Il dérègle les évidences.

Les clichés aussi graphiques qu’incisifs de ©Mous Lamrabat
Mous Lamrabat, c’est une nouvelle grammaire visuelle. Un cri d’amour au métissage, à la liberté de créer sans codes ni frontières. Un regard arabe, belge, universel. Un style. Une voix. Un pont entre deux mondes. Et il nous rappelle, avec chaque image, que l’identité n’est pas un choix. C’est un collage.

©Mous Lamrabat, Star-Struck, 2024
Mous Lamrabat
https://mousmous.com
