Miroir, mon beau miroir…

Rosalba Carriera (Venise, 1675 – Venise, 1757) Portrait de Felicita Sartori en costume turc, avant 1740, Pastel sur papier, 640 x 525 mm, Dépôt de la Fondation Jean-Louis Prevost, 2004, Inv. BA 2004-0003-D  © Musée d’art et d’histoire de Genève, photo. : B. Jacot-Descombes

À une époque où le narcissisme se fait roi – vous avez dit Tik-Tok ? – l’image de soi est devenue un sujet central de notre société. Les apparences, le culte du corps, et la mise en avant constante du moi par l’image font partie de notre quotidien, et se sont vus largement exacerbés par l’arrivée des réseaux sociaux. Mais l’histoire de l’apparence est loin d’être récente, le narcissisme et le culte de la beauté présents depuis la nuit des temps. Le Musée d’Art et d’Histoire de Genève consacre sa nouvelle exposition, Pour la Galerie. Mode et Portrait, à cette histoire et à la fabrication de l’image de soi. Pour revenir sur ce passé, les curateurs ont fait appel aux oeuvres de la collection du musée, des portraits, des scènes, qui s’ils varient d’époque en époque reflètent le même culte du moi. Pour aller plus loin, l’institution s’associe à la Fondation Alexandre Vassiliev qui présentera une sélection de ses pièces de mode, apparat de première importance dans le monde de l’apparence. Retour sur le passé d’un culte qui ne cessera certainement jamais d’exister.

Souvent considérée comme futile, la mode est pourtant l’un des indices historiques les plus importants qui a permis d’étudier à la fois l’évolution des styles, mais aussi des mentalités. Dans les nombreux portraits exposés au MAH, nous pouvons découvrir des femmes vêtues de robes élégantes aux détails infinis, des vêtements plus modestes parfois, mais aussi des habits de soirées, ou des vêtements d’intérieur réservés aux regards privés. Au coeur de la nouvelle exposition, Pour la Galerie. Mode et Portrait, le musée explore à la fois l’histoire de la mode et du vêtement, mais aussi celle de l’apparence. Bien plus qu’un morceau de tissu qui recouvre le corps, le vêtement se fait alors lieu de tous les messages, l’objet qui transmet un statut, mais aussi une émotion, une personnalité, un désir. Ce nouvel accrochage nous offre un panorama inédit sur le monde de la mode et son rapport à l’art en faisant dialoguer les tableaux du musée directement avec les vêtements de la Fondation Alexandre Vassiliev. Nous déambulons alors dans une véritable foire aux vanités, où nous sommes invités à observer les peintures d’un nouveau regard, observant aussi les vêtements, et tentant de comprendre ce qu’ils nous disent de la personne représentée. Parmi les tableaux sélectionnés pour cet accrochage, nous retrouverons La plus jolie femme de Paris peinte par James Tissot, un titre qui pourrait résumer l’exposition, ou encore le Portrait de Felicita Sartori en costume turc représentée par Rosalba Carriera.

Robe du soir, Fabriquée pour Neiman Marcus, (grand magasin, États-Unis, fondé en 1907), New York, vers 1964, Soie, plumes de coq, Fondation Alexandre Vassiliev Inv. 2018.2.24.2.CW.DR.C1964.US © Fondation Alexandre Vassiliev

Véritable défilé de mode au musée, cette exposition approche avec un regard neuf le rapport entre l’art et la mode, sans avoir peur de mélanger ces deux médiums qui ont trop souvent été écartés l’un de l’autre par l’histoire. La mode, longtemps perçue comme une vanité inutile, ne devant en aucun cas se mêler aux arts, porte en réalité une valeur des plus importantes. Emprunte physique de l’Histoire, elle nous permet de comprendre notre passé, mais aussi notre présent. Dans le musée, les vêtements allant du XVème siècle à notre époque côtoient alors les peintures, mettant en lumière leur importance historique, mais aussi leur signification, ou encore le travail d’orfèvre des couturiers. Cet élément capital de l’apparence témoigne alors du temps qui passe, des mentalités qui changent, et de notre présent qui se forme peu à peu sur ce passé loin d’être oublié.

Au temps des selfies, cette thématique prend tout son sens, et replace dans l’Histoire nos comportements actuels. Nous réalisons alors que le portait est depuis toujours présent, que la vanité, le désir de se voir représenter, immortaliser, sous son plus beau jour n’ont rien de nouveau. L’histoire de l’apparence a commencé à s’écrire des siècles en arrière, et si Tik-Tok, les filtres et autres artifices ont la cote aujourd’hui, ils ne font en réalité que s’inscrire dans une réalité historique, une suite presque logique où le culte de soi ne fait que grandir, car rendu tellement plus simple. Inutile de payer Raphael ou James Tissot pour nous représenter sous notre plus beau jour, un téléphone suffit aujourd’hui.

Pour la Galerie. Mode et Portrait, du 17 septembre au 14 novembre 2021, Musée d’Art et d’Histoire, Rue Charles Galland 2, 1206 Genève, http://institutions.ville-geneve.ch/fr/mah/