Marco Meloni : de la truffe au triomphe

Certaines histoires tiennent dans une assiette. D’autres, dans une valise rouge. Celle de Marco ? Dans un éclat de rire, une truffe et une trottinette un jour d’automne endolori. Chef sarde mariné dans l’épreuve, il pétrit ses pâtes comme sa revanche. Résultat : DaMa, un pastificio brut, artisanal, un vrai régal.
Une graine plantée en Sardaigne
Il parle avec les mains, le regard franc et la voix rugueuse comme une semoule de blé dur. Marco Meloni a grandi à Sassari, au nord de la Sardaigne. Là-bas, il intègre l’école hôtelière sans vraiment se poser de questions. La cuisine n’est pas une vocation mystique, ni une ode à la nonna. « J’ai commencé à 14 ans. Pas parce que ma grand-mère cuisinait. Parce que c’était ça ou autre chose. » Une honnêteté qui tranche avec le storytelling habituel.
Mais très vite, le feu prend. Il se forme, bourlingue, découpe, observe. Il apprend sur le tas, dans les petites brigades et les grandes maisons. Espagne, France, Dubaï. Il bosse même avec Marc Fosh à Palma de Mallorca. Un parcours riche, mais rugueux. « J’étais rebelle. Chef exécutif ou pas, dès qu’un patron me disait quoi faire, je bloquais. »
Un crash à Milan, une renaissance à Genève
Fatigué du système, il plaque tout. Part à Milan pour suivre une histoire d’amour. Et s’effondre. « L’Italie, c’est dur. Surtout quand t’as goûté à la Suisse. Là-bas, j’étais personne. J’ai dû me retrouver. »
C’est à Genève qu’il rebondit. Il atterrit d’abord dans un hôtel-restaurant valaisan puis dans une brasserie genevois où il démissionne au bout d’un mois et demi. « J’étais vraiment dans une situation délicate vu que ma copine me quittait également à ce moment. » Et c’est là que surgit l’idée de génie. Ou plutôt l’instinct de survie.
Une valise pleine de truffes
Avec sa petite valise rouge pleine de truffes, Marco sillonne les rues de Genève, tape aux portes des restos, vend, négocie, charme. « J’avais des contacts en Italie. Ils me faisaient confiance. Je payais après avoir vendu. » Le commerce ambulant comme dernier souffle. Un jour d’octobre, sous une pluie fine, bloqué au feu rouge, il se met à rire. « Je me suis dit : un jour, tu te rappelleras de ce moment-là et tu en riras. »
L’allié providentiel : Davide
Quelques semaines plus tard, il rencontre Davide. Un Genevois d’origine italienne, entrepreneur discret mais au flair aiguisé. Au début, il devait simplement lui confier la gérance d’un lieu. Finalement, ils montent une société ensemble. 50/50. « En trois semaines, on était associés. Aujourd’hui, on est comme des frères. »
DaMa : la pâte comme manifeste
Leur projet ? Un concept inédit à Genève : une boutique de pâtes fraîches artisanales, sans œufs, vendues au poids, comme dans les pastifici italiens. Mais avec une touche résolument moderne. Tu choisis ta pâte, ta sauce maison, tu emportes ou tu manges sur place. Pas de blabla, pas de nappes à carreaux. Juste de la pâte, brute et sincère. « Nos recettes sont toutes à nous. Les sauces, les farces, tout est calibré, fignolé. » Du ricotta-épinard ultra végétal à la mozzarella-buffala citronnée, du cacio e pepe soyeux à la putanesca explosive. Et puis, il y a les pépites ponctuelles : les culurgiones sardes, les tortellinis, les raviolis au caviar.
“The Way of Ravioli” : un menu en forme de parcours initiatique
Un des projets phares ? “The Way of Ravioli”. Un menu tout ravioli, de l’entrée au dessert. Salés, sucrés, frits ou fondants. « En juin, j’ai servi un dîner privé avec 15 personnes autour de ça. C’était un carton. » Des raviolis Nutella-ricotta en dessert, de la gorgonzola en ouverture, du jambon de Parme au milieu. Un hommage vibrant à la créativité.
Une pâte sans œufs, mais pleine de sens
Marco revendique une pâte sans œuf — de la semoule de blé dur, de l’eau, basta. « C’est plus digeste, plus éthique. Et surtout, ça me permet de jouer avec les textures. » Il vend aussi de la farine — manitoba, spéciale pizza, pour desserts, pour pâtes fraîches — et fait office de traiteur pour les privés.
Vendre plus qu’un plat : vendre une âme
Ce que les clients aiment ici, au-delà du goût ? « Notre chaleur. Notre sourire. On vend la pâte, oui. Mais on vend surtout l’Italie. Notre manière d’être. » Dans ce local encore un peu discret, à deux encablures des grands axes, l’équipe mise sur l’authenticité. L’objectif ? Ouvrir cinq adresses à Genève et couvrir tous les quartiers. »
De la cave au sixième étage
Quand on lui demande ce que la pâte représente pour lui, Marco répond sans hésiter : « La vie. Elle m’a sauvé. Elle m’a rendu visible. » Il se rappelle ses nuits sur un matelas à même le sol. Aujourd’hui, il vit au sixième étage, avec balcon et vue. Il a repris possession de lui-même.
Il y a des destins qui se tissent avec des étoiles Michelin. D’autres avec un fil de semoule, une valise rouge et une rage douce de s’en sortir. Marco est de ceux-là.
Et s’il a appris une chose de tout ça, c’est celle-ci : “Continue de croire à ta vision. Même quand tout s’écroule. Surtout quand tout s’écroule.”
