L’essence du visible
©Wright Morris, The Home Place, Norfolk, Nebraska, 1947 © Estate of Wright Morris
FOAM, le musée de la photographie d’Amsterdam, accueillera jusqu’au 5 avril prochain une exposition exceptionnelle rassemblant une sélection de photographies réalisées par l’écrivain Wright Morris. Acclamé pour ses romans et ses nouvelles, cet américain ayant grandi dans les grandes plaines du Midwest consacra une partie de sa vie à capturer l’essence et la réalité de la vie aux Etats-Unis dans les milieux ruraux au lendemain de la Grande Dépression des années 1930. Né au Nebraska, il quitta ses grandes plaines pour partir étudier en Californie, avant de voyager en Europe. Mais son attachement pour ses contrées natales le poursuivirent toute sa vie. Passionné d’écriture et d’image, il allie pendant longtemps ces deux médiums dans ses publications avant de laisser tomber la photographie, et de briller pour ses récits. Historien de son temps et d’une classe sociale délaissée dont il fit longtemps partie, Morris nous entraine dans un voyage au coeur de l’Amérique, nous dévoilant un monde oublié par le rêve américain.
Nous pourrions presque parler d’une légende des contrées reculées de l’Amérique, mais le succès que connu Wright Morris au début de sa carrière devait éclipser sa mémoire. Aujourd’hui relégué par la littérature américaine comme un bon vieux souvenir, les textes de cet homme au destin oublié et aux désirs d’ailleurs s’estompent pour placer sur le devant de la scène sa seconde passion, la photographie. Né dans les plaines du Nebraska, orphelin de mère alors qu’il n’est que nourrisson, Morris grandit balloté entre le Nebraska et Chicago, confié à ses oncles, dans des fermes du Midwest, ou à sa belle-mère, son père souvent hors cadre, faisant de lui un voyageur et un observateur de son temps dès son plus jeune âge. À l’âge de 23 ans il laisse les Etats-Unis derrière lui et se consacre pleinement à l’écriture, remplissant ses textes de personnages merveilleux. Mais sa passion pour la photographie le rattrape rapidement. Une obsession hantait Wright Morris : « capturer l’essence de visible ». Par ses mots, il cherche à rendre une réalité qui se déroule sous ses yeux, à retranscrire ces vies et ces scènes qu’il découvre lors de ses voyages à travers l’Amérique et l’Europe, mais il réalise bien vite que seule la photographie est capable d’une retranscription parfaite. Il publie alors en 1946 The Inhabitants, son premier ‘photo-texte’ qui allie ses écrits où évoluent des personnages de fiction à une réalité imagée qui est celle de son enfance. Malheureusement, ses ouvrages mêlant photographies et récit ne connaissent pas le succès escompté, et sur les conseils de son éditeur Morris abandonne la photographie, au profit de romans qui feront de lui un homme au succès immédiat.
Malgré cet abandon, de nombreux clichés capturés par Wright Morris perdurent. Entre 1938 et 1947 il produit la plus grande majorité de son travail photographique, parcourant ces terres désolées du centre des Etats-Unis qu’il a côtoyé depuis sa tendre enfance. Au lendemain de la Grande Dépression des années 1930, Morris immortalise une Amérique laissée à l’abandon, une pauvreté et une misère omniprésente dans ces lieux reculés. L’espoir du rêve américain a disparu, pour laisser place à un déclin qui semble sans fin. Dans ses photographies, à l’inverse de ses écrits, aucune présence humaine. Ce sont leurs traces qu’il capture, des bribes de vies. Une commode remplie d’objets du quotidien, une chaise suggérant la présence d’une personne qui l’occuperait, mais a disparu du cadre, un miroir qui ne reflète aucun visage, une église où nul ne se rend. Morris, bien plus que d’immortaliser une Amérique vivant ses heures les plus sombres, parvient à rendre l’atmosphère de cette époque. Ses images deviennent alors paradoxales. Dénuées de toute présence, elles parviennent malgré tout à célébrer la vie à travers des objets inanimés, délaissés. Morris rend alors l’invisible visible. Malgré cela, ses clichés restent longtemps oubliés, conservés par l’Estate Wright Morris, mais cachés au public. Depuis quelques années cependant un regain d’intérêt traverse l’oeuvre de l’écrivain et du photographe. D’abord exposées à la Fondation Henri Cartier-Bresson, ses photographies s’installent l’espace de quelques mois à Amsterdam pour faire découvrir au public européen cet américain au talent trop vite oublié.
Salué pour ses écrits qui éclipsèrent pendant longtemps ses talents de photographe, Wright Morris se voit aujourd’hui reconnu pour ses clichés où l’homme semble sans cesse absent, mais où les traces de son passage marquent une misère et une désolation indéniables. Le musée hollandais rend alors hommage à ce photographe de talent longtemps boudé, à cet homme qui a su capturer l’âme de l’Amérique lors d’une de ses plus sombres périodes, insufflant de la vie au milieu d’un Midwest oublié. Une sélection d’images tirées de ses ‘photo-textes’, ainsi que des extraits de ses nombreux écrits seront à découvrir jusqu’au début du printemps au Musée de la Photographie d’Amsterdam (FOAM).
Wright Morris – The Home Place, du 24 janvier au 5 avril 2020, FOAM, FOtographiemuseum AMsterdam, Keizersgracht 609, 1017 DS Amsterdam, Pays-Bas, foam.org