Le crayon: arme d’instruction massive

Comme le dit l’adage napoléonien : un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. Nadia Khiari a fait de cette pensée son métier. Depuis, elle dessine et les messages fusent. Un véritable exercice de style qu’elle pratique d’une verve satirique via un personnage félin: Willis from Tunis né sur les réseaux sociaux le 13 janvier 2011, en réaction au discours du président tunisien Ben Ali, qui allait démissionner le lendemain. Depuis Willis from Tunis dose avec une précision millimétrique les ingrédients d’un lyrisme politique et une réelle dimension ironique, très critique. Les intrigues de son chat condensent toute la tension contenue dans une actualité tunisienne disséquée avec subtilité. Collaborant notamment avec le Courrier International ou le Siné Mensuel, ses croquis croquant son quotidien de félin tunisien s’exposent pour ses 10 ans à La Maison du dessin de presse de Morges jusqu’au 16 mai prochain. Nadia Khiari y démontre que l’illustration est aussi un outil de dialogue et que pour mieux défendre la liberté d’expression, il faut observer et écouter attentivement son prochain. 

Traits croisés avec ce génie du croquis.

 

Comment est né Willis from Tunis ?

Avant 2011, j’enseignais principalement. Je n’ai commencé le dessin de presse qu’à partir du 13 janvier 2011 juste après le dernier discours du président tunisien Ben Ali, qui allait démissionner le lendemain. Je dessinais déjà mon chat Willis, avant mais dans des histoires félines sans portée politique que je partageais à mes amis. C’était uniquement pour faire rire mon entourage. Bien que j’ai toujours aimé le dessin satirique, avant cela, ce n’était pas possible de le pratiquer à cause de la censure omniprésente. Les soulèvements du Printemps arabe ont révolutionné artistiquement ma vie puisqu’ils m’ont permis de m’exprimer sur les réseaux sociaux à travers ce personnage de chat. Willis from Tunis était né. J’ai rapidement eu un bon accueil et j’ai réalisé que beaucoup de tunisiens partageaient les mêmes idées que moi. Cela a chamboulé ma vie. Je pouvais désormais m’exprimer librement et critiquer le pouvoir politique.

Pourquoi avoir choisi un chat comme porte-drapeau de vos contestations ?

J’aime la symbolique que ce félin revêt: désobéissant, sauvage et indépendant! On a plein de chats de gouttière qui traînent dans les rues de Tunis et qui rament pour pouvoir trouver leur place. Sur le web, les lol cats sont les rois. D’ailleurs, j’ai lu une étude dernièrement qui expliquait que regarder des vidéos de chat faisait baisser l’anxiété et le stress. (rires) Ça me parle! Gamine, j’adorais les fables de la Fontaine et l’idée de prendre des animaux pour transmettre des messages, cela permet de détourner la censure et d’être moins frontal.

Willis célèbre aujourd’hui 10 ans tout comme le Printemps arabe et vous avez pour l’occasion sorti un livre… 

Oui, j’ai publié un livre cette année pour célébrer ces 10 ans afin de raconter l’historique de cette évolution et de saisir l’enchaînement des événements qui ont mené le pays à ce qu’il est aujourd’hui. C’est un moyen de témoigner et document ce Printemps arabe. 

Comment a évolué Willis durant cette période? 

J’ai beaucoup évolué ainsi que mon trait. Il y a eu des grands moments d’espoir, de désillusion, d’abattement, d’euphorie…Cela évolue en fonction de ce que je vis. Les idéaux restent quant à eux identiques ainsi que mon discours toujours revendicatif. Je garde en tête les mots scandés dans les rues en 2011: liberté, dignité, travail…Les revendications restent les mêmes. 

On a arraché cette liberté d’expression en 2011 et elle est dès lors pratiquée par tous les tunisiens! Les tentatives de nous faire taire sont toujours présentes quant à elles. Mais cela se limite à des insultes sur le web.

Est-il dangereux de s’exprimer par le dessin? 

Partout dans le monde, les dessinateurs sont menacés. Je fais partie de l’association Cartooning for Peace créée par Plantu et Kofi Annan, qui a un but pédagogique mais qui protège également les dessinateurs qui rencontrent des soucis dans le monde de par leur pratique du dessin. La censure économique est la plus dangereuse et c’est celle qui sévit le plus. Je reste prudente mais je ne vis pas du tout avec la peur. D’ailleurs, c’était un des slogans scandés dans les rues en 2011: plus jamais peur!

Qu’est ce que cela vous fait d’exposer 70 dessins à La Maison du dessin de presse de Morges?

Cela me touche beaucoup car c’est une forme de reconnaissance de mon travail. Cela me permet également de partager avec un autre type de public et de faire découvrir l’histoire de la Tunisie aux Suisses. Dans les médias en Europe, on parle de mon pays quand il y a des attentats terroristes, une catastrophe mais on met rarement notre quotidien en avant et mon travail montre qu’on partage plus que ce que l’on imagine.  

Nadia Khiari aka Willis from Tunis

Exposition gratuite jusqu’au 16 mai

Table ronde, dédicace et rencontre: jeudi 6 mai de 17h à 18h

samedi 8 mai de 14h à 16h

 

Maison du Dessin de Presse
Rue Louis-de-Savoie 39, 1110 Morges
Tél: 021 801 58 15
http://mddp.ch