Corps manquant : présence absolue

Il y a des silences qui font plus de bruit que mille cris. Des corps immobiles qui racontent plus que cent chorégraphies. Et puis, il y a CORPS MANQUANT, le solo performatif radical et bouleversant de Yann Marussich, présenté les 21 et 22 mai à la Comédie de Genève, dans le cadre du festival Out of the Box – Biennale des Arts Inclusifs.

Un homme seul en scène. Mais habité. Chargé de vies, de douleurs, de résilience. Le sien, celui des autres — celles et ceux rencontrés au Mozambique, amputé·es suite à l’explosion d’une mine antipersonnel. Corps absents, mais puissamment présents. Le geste est lent, presque cérémonial. On devine la souffrance, mais aussi la dignité, la rage de vivre. La poésie brute des fragments. CORPS MANQUANT ne parle pas que de manque. Il parle surtout de présence. De celle qui surgit quand il ne reste que l’essentiel. Ici, pas de pathos, pas d’esthétique misérabiliste. Juste un face-à-face, brut, avec l’humain. Le vrai. Le fragile. Le puissant.

Initialement conçu comme un trio avec la chanteuse Cristina Souane et Helena Tevete Numaio, jeune femme amputée des deux jambes, la performance a dû être repensée. L’absence des deux artistes, restées au Mozambique, transforme le projet. Mais loin de l’amoindrir, elle le charge encore davantage. Le solo devient un espace de résonance. De mémoire. De liens invisibles mais tenaces.

Yann Marussich, performeur hors normes, poursuit ici une trajectoire artistique engagée, entamée depuis plusieurs années autour du corps empêché, blessé, immobile. Avec CORPS MANQUANT, il explore une nouvelle forme de création : en lien direct avec des personnes amputées, civiles et souvent marginalisées, à travers des résidences artistiques, des laboratoires corporels, des expositions et des vidéos performatives. Ce projet, né au Mozambique et appelé à rayonner en Colombie, au Laos et ailleurs, devient une constellation d’actes artistiques, humains et politiques.

Le 21 mai, la performance sera suivie d’un bord de scène avec l’équipe artistique. Le 22 mai, une table ronde réunira notamment Helena Tevete Numaio, Cristina Souane, Daniel Suda-Lang (Handicap International Genève) et Fabian Santschi (technicien orthopédiste). Des voix qui prolongent le geste. Qui creusent plus loin. Le 23 mai, la Comédie accueillera Missing Bodies, une soirée de projections de vidéos-performances réalisées au Mozambique avec six personnes amputées. Face caméra, ces corps se réapproprient leur image, leur récit. C’est dur. C’est beau. C’est juste. Et ça nous regarde.

Dans un monde qui trie, qui étiquette, qui détourne le regard, CORPS MANQUANT nous invite à regarder autrement. À ne plus fuir ce qui dérange. À comprendre que le corps n’est jamais incomplet quand il est porteur de sens. Ce qu’il manque, souvent, c’est le regard juste pour le voir. Rendez-vous à la Comédie de Genève. Les 21, 22 et 23 mai. C’est essentiel.