La quadrature du Ring

Richard Wagner, Die Walküre, Tomas Tomasson & Petra Lang ©GTG/Carole Parodi

Réouverture après trois années de travaux, dernière saison du directeur général Tobias Richter, comment mieux marquer le coup qu’avec Der Ring des Nibelungen ? Déjà présentée à Genève, c’est la production à succès de Dieter Dorn et Jürgen Rose qui a été retenue pour l’évènement lyrique de l’année. Trois cycles sont proposés, pour que chacun voyage à son rythme entre le prologue et les trois journées. Un prestigieux festival scénique à la carte, pour magnifier la grandeur de l’institution et de son temple nouveau. L’Orchestre de la Suisse Romande sera pour la première fois dirigé par Georg Fritzsch, alors que Petra Lang (Brunehilde) et Tómas Tómasson (Wotan / Wanderer) nous font le plaisir de revenir avec une grande partie de la troupe du Ring de 2014. L’aventure wagnérienne débutera le 12 février en grandes pompes, pour s’achever le 17 mars. Immersion.

Lyriques planches

Grand nom du théâtre, Dieter Dorn signe la mise en scène de ces seize heures de musique, poursuivant une longue collaboration – au théâtre et à l’opéra – avec Jürgen Rose, décorateur et costumier. Représenté à Genève en 2013-2014, leur Ring, résolument théâtral, est vivement salué par la critique internationale et largement relayé dans les médias. C’est par une plongée intime dans les personnages que Dieter Dorn et Jürgen Rose veulent nous immerger dans l’intrigue cyclique de l’éternel recommencement qu’incarne l’œuvre. En révélant leurs psychologies, ils extraient de ce monumental nœud de mythes wagnérien la substance profondément humaine qui en caractérise la résolution. Au-delà des demi-dieux et des nains, des géants et des dragons, le Ring est l’histoire de l’humain, l’allégorie de sa civilisation.

Perpétuel néant

Au début, dans L’Or du Rhin, il n’y a rien. Puis il y a le murmure. Les artistes occupent, seuls, une scène vide, théâtre du commencement du monde. Puis le cercle devient spirale, faite de luttes de pouvoir, de cupidité, de vol, d’inceste, de mensonges, de trahisons, de concupiscence et de drames pour, quelques journées plus tard, au Crépuscule des Dieux, s’achever sur la même scène vide, celle d’un monde dévasté, dévasté mais à refaire, brûlé et englouti, expié par l’amour triomphant.

Évolutif et complexe, le récit commence assez simplement. Alberich, vil nain raillé, nourrit sa soif de pouvoir et son désir de revanche sur l’amour en plongeant au fond du Rhin, afin d’y voler l’or magique qui lui permettra de forger l’anneau octroyant puissance suprême à son détenteur. Visiblement, Tolkien n’a rien inventé. Mais lorsque Wotan, Dieu des Dieux, comprend que l’anneau l’affranchirait de ses dettes, il veut en toute logique s’en emparer, avec comme seul hic que tout le monde cherche à faire de même. S’amorce alors l’épopée multigénérationnelle, agrémentée de maudites prophéties, qui mène de la naissance du monde à l’inéluctable déluge du pouvoir corrupteur.

Les trente-quatre personnages majeurs du Ring ont en eux tant de bon que de mal, un subtil mélange auquel Wagner veille : rien n’est noir ou blanc, rien n’est binaire. L’héroïsme s’unit à la trahison, la haine à la loyauté et l’amour à la lâcheté. Un épique arbre généalogique dont aucun des personnages n’apparaît dans tous les épisodes, le seul fil d’Ariane prenant la forme de leitmotivs.

Le leitmotiv, la clef

Vingt-sept ans. C’est quasiment la moitié de sa vie que Wagner aura consacré au chef d’œuvre des sagas. Il a commencé par une rédaction à rebours du récit, avant de se lancer dans la composition musicale allant, elle, du début vers la fin. Le leitmotiv, Wagner ne l’a pas inventé : il l’a développé, l’a sublimé, paroxisé, il l’a érigé en épine dorsale de la grande fresque sociale qu’est le Ring. Ces marqueurs musicaux simples, brèves successions de notes mais repères indispensables au récit, prennent chacun le sens d’un personnage, d’un lieu, d’une émotion. Ils évoluent dans l’orchestration, s’assombrissent et se révèlent au gré des circonstances, s’entremêlent sans jamais se dérober à leur rôle de sceau entre intrigue et musique. Ils sont l’un des ciments qui font du Ring une œuvre hors-normes, totale et complète de cohérence, du texte au chant, du théâtre à la danse. C’est le Gesamtkunstwerk.

Désacralisation universelle

Pour apprécier un ou plusieurs de ces quatre volets, il suffit d’avoir des oreilles et un cœur, en veillant à commencer par L’Or du Rhin, qui en plus d’être moins long fournit toutes les clefs des trois journées suivantes. Avant chaque représentation, un musicologue accueillera le public dans le bar flambant neuf du sous-sol du Grand Théâtre pour une introduction à l’œuvre. Ces trois cycles sont aussi la thématique d’un concours de bande dessinée, d’une série de conférences, d’un album de vignettes aux effigies des personnages ainsi que d’un brunch familial, de quoi réjouir le public le plus varié. Le Ring est une pièce complexe, longue, dans un édifice intimidant, et nombreux sont celles et ceux qui y verront des raisons de s’abstenir. Mais dans sa paradoxale complexité, le Ring est plus simple qu’on le croit. C’est une histoire de la vie, une histoire de l’amour, qui ne cesse de surprendre même les wagnériens les plus érudits. C’est une découverte perpétuelle où l’on retrouve un peu de soi-même, un peu du monde qui nous entoure, un monde qu’il est inutile d’être expert pour comprendre.

Der Ring des Nibelungen
Festival scénique en un prologue et trois journées de Richard Wagner
(Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung)

Cycle 1 : 12-17 février 2019
Cycle 2 : 5-10 mars 2019
Cycle 3 : 12-17 mars 2019

Grand Théâtre de Genève
Place de Neuve – 1204 Genève
022 322 50 50
geneveopera.ch