La preuve par 3

Le centre sportif du Bout-du-Monde où le les soeurs, Alexia, Laura et Rebecca Beti s’entraînent

Aucun coup de pouce du destin, ni de signes divins et encore moins de symboliques ésotériques n’interviennent dans l’équation. Si trois sœurs, dont deux jumelles, combinent triathlon à haut niveau et études supérieures, c’est bien grâce à la persévérance, l’organisation et le soutien de leurs proches. Des trajectoires sportives racontées par Alexia (17 ans), Laura (17 ans) et Rebecca Beti (19 ans), un trio genevois peu commun, rencontré au centre sportif du Bout-du-Monde. Extraits en trois parties.

Origines & préférences

Centre sportif du Bout-du-Monde, 18 janvier 2022, 19h20. La météo hivernale n’épargne pas la cité de Calvin. Une fois la nuit tombée, la morsure du froid se fait encore plus insistante. Le rendez-vous est fixé juste après l’entraînement des trois championnes, devant un plan situé à une extrémité du pavillon couvert, un long bâtiment gris et jaune abritant des salles de sport. À la faveur d’un lampadaire, le panneau indique, à l’aide de chiffres, l’emplacement des aménagements sportifs du complexe. La piste d’athlétisme, au numéro dix-sept, se trouve seulement à quelques foulées…le temps pour Alexia, Laura, et Rebecca d’enjamber la barrière qui borde le revêtement ocre avant d’expliquer : « Nous nous entraînons ensemble ici à la course à pied les mardis et jeudis soir. » Une précision importante sachant qu’elles exercent deux, voire trois autres activités physiques durant la semaine en parallèle de leurs cursus scolaires (natation, course, vélo et parfois gymnastique). Un quotidien atypique et intense qui impressionne d’autant plus en connaissant leurs niveaux: Mondial pour Rebecca et national pour Laura et Alexia. Mais en fait, de quoi parle-t-on? Direction la salle de presse du pavillon pour en savoir plus.

Le trio de soeurs sportives : Alexia (17 ans), Laura (17 ans) et Rebecca Beti (19 ans) ©Fabien Scotti

Au commencement, les pères américains du triathlon, Jack Johnston et Don Shanahan, y voyaient quelque chose de nouveau. Peut-être que la pratique d’un seul sport, en 1974, leur paraissait trop banal et ne les satisfaisaient plus. Les deux californiens eurent alors l’idée retorse de créer un triptyque explosif, garanti par l’enchaînement de trois épreuves: la natation, le cyclisme et la course à pied. Toujours placées dans cet ordre lors des compétitions. Plusieurs arguments pourraient expliquer cette disposition, mais le meilleur reste le pragmatisme d’Alexia : « C’est une question de logique, ça serait trop compliqué de commencer par le vélo et ensuite d’enfiler la combinaison pour nager.» Du bon sens partagé par le trinôme qui considère cet agencement comme l’ordre naturel des choses. Une forme d’évidence qui se retrouve dans l’attention accordée aux trois sports: il faut bien entendu performer dans chacun d’eux pour réussir. Elles doivent donc les appréhender séparément. Si la natation remporte les faveurs des jumelles, ce n’est pas le cas pour Rebecca: « Contrairement à elles, c’est là où je suis la moins forte, je préfère la course à pied. » En compétition, les distances varient selon le sport et le format. Dans leurs catégories, la « Distance sprint » leur font parcourir huit cents mètres de natation, vingt kilomètres de vélo et cinq kilomètres de course. Alors finalement, le triathlon ne serait qu’une suite de disciplines mises bout à bout? Ça aurait pu l’être, sans les transitions: ces instants où il faut passer le plus rapidement possible d’une épreuve à l’autre.

 Transitions & débuts  

« Les transitions sont considérées comme le 4ᵉ sport du triathlon. Elles sont importantes dans l’enchaînement des disciplines. Ça nous est déjà arrivé de rater une compétition à cause d’elles.» précise Laura. Quelques secondes transformées en véritable enjeu, à mesure que le niveau s’améliore. Entre les deux transitions dites T1 et T2, respectivement nage-vélo et vélo-course à pied, laquelle est la plus importante? La réponse fait l’unanimité: « La première, parce que le fait de rater le groupe vélo te laisse toute seule ou pire, à devoir attendre celui d’après. » Aujourd’hui, après des années d’exercice, les trois sœurs les considèrent comme des automatismes. Elles évoquent, sur le ton d’une habitude acquise depuis longtemps, des détails précis comme l’intérieur des chaussures enduites de vaseline pour les enfiler plus rapidement ou les lanières du casque déjà positionnées vers l’extérieur pour gagner du temps. Une familiarisation qui remonte à l’enfance, une période charnière où la suite se dessinait déjà. Et forcément, c’est l’aînée qui a ouvert le bal: « A sept ans, j’ai commencé à courir avec une amie qui faisait du triathlon. Un jour, je suis allée la voir en compétition et j’ai bien aimé. Par la suite, j’en ai aussi fait un que j’ai gagné. Ça a sûrement dû contribuer à ma motivation [Rires]. » Concernant Alexia et Laura, elles n’eurent qu’à suivre les traces de leur grande sœur qui leur avait considérablement ouvert la voie: « On a suivi l’exemple de Rebecca et tenté notre premier triathlon dès qu’on a pu, à six ans. C’était un format pour les petits: On avait couru dans une pataugeoire au lieu de nager et fait le tour d’un stade en vélo à roulettes [Rires]. » Si elles confient s’être rendues aux entraînements pour s’amuser étant petites, la suite s’est révélée nettement plus sérieuse. « C’est clair qu’il existe différentes étapes. Notre rapport au sport a changé avec l’âge. A l’adolescence, par exemple, il faut s’accrocher et faire des sacrifices. Beaucoup développent d’autres centres d’intérêts et du coup arrêtent. En plus, il faut avoir les capacités pour continuer à haut niveau. À ce moment-là, les résultats ont conditionné notre envie de continuer. On a aussi besoin de ça pour avancer. » conclut Rebecca.

Le centre sportif du Bout-du-Monde  ©Fabien Scotti

 

Soutiens & formation

Parfois, les coups du sort viennent assombrir le tableau et le mental de vainqueur ne suffit plus. L’aide extérieure est alors essentielle. Un rôle endossé par les entraîneurs, dont Rebecca tient à souligner le travail: « Mon coach Jean-Marc sera toujours là pour me réconforter et il l’a fait dernièrement aux championnats du monde lorsque je suis tombée. C’était vraiment important tout ce qu’il m’a dit. » Leurs parents ont également apporté leur pierre à l’édifice en faisant preuve d’une implication de tous les instants. Plus surprenante, en revanche, la zone grise qui régit leurs rapports à l’entraînement: « Le fait que l’on soit proche et que l’on puisse s’encourager, c’est un avantage, évidemment. Par contre, on est toujours ensemble et ça implique des désaccords » selon Alexia. Même son de cloche chez Rebecca: « Ce n’est pas forcément un atout d’être trois aux entraînements: c’est possible que la démotivation de l’une ou des deux autres tirent la dernière vers le bas. »      

[À ce moment-là de l’entretien, Rebecca se lève pour aller rejoindre Thomas leur petit frère et reviendra plus tard. J’en profite pour aborder la relation entre les jumelles].      

« Nous avons ce lien où on peut se comprendre en quelques mots. Avant les compétitions, on s’isole, on discute et on s’échauffe ensemble. » Leur bonne entente ne les empêche pas de devenir des concurrentes lors d’une course, mais la rivalité s’estompe une fois la ligne d’arrivée franchie. Elles font remarquer qu’elles ont le même niveau et que ce sont plutôt les gens qui les comparent et les opposent. Une aubaine dans le cadre sportif: « Qui est la plus forte d’entre nous deux? On nous le demande tout le temps.» Et pour finir, comment parviennent-elles à concilier école et triathlon? « Il faut une organisation assez extraordinaire, ce n’est pas évident. Je suis en 3ᵉ du collège et je fais mon année en deux ans. » commence Rebecca. « Nous, on est à l’ECG. Laura fait sa 3ᵉ année en deux ans et moi je suis en 2ᵉ, parce que j’ai redoublé et je la fais à plein temps.» ajoute Alexia pour clôturer l’entretien enregistré au chaud dans la salle de presse. Trois vies bien remplies pour des carrières qu’on leur souhaite longues et fructueuses. Après l’arrêt de l’enregistreur vocal et les salutations d’usage, le moment est venu de replonger dans l’hiver polaire genevois.