La mode au secours de l’art ?
La marque japonaise Uniqlo a depuis bien longtemps inondé le marché européen, et a su séduire toutes les générations avec des designs basiques et qualitatifs où le confort est souvent mis à l’honneur. Devenu une référence dans le monde entier, le label japonais s’associe, et ce pour un partenariat de quatre ans, à l’institution culturelle la plus connue de France, le Musée du Louvre. Au programme, vêtements estampillés de ses plus célèbres toiles, toutes réunies autour de la représentation de la femme dans l’histoire de l’art, mais aussi un parrainage qui semble des plus importants à l’heure actuelle. Alors que les portes du musée restent fermées, la marque japonaise s’engage à soutenir l’institution en finançant sa mensuelle nocturne gratuite et son programme dédié aux familles. À l’heure où les institutions culturelles souffrent plus que jamais, cette collaboration vient poser une question inattendue, et si la mode pouvait sauver les musées ?
Ce n’est pas une première pour Uniqlo, qui depuis quelques années, à travers sa ligne UT, met l’art à l’honneur. Sur ses tee-shirts et pulls confortables aux coupes résolument basiques que la planète entière s’arrache – la marque compte près de 4’000 boutiques à travers le monde – s’affichent les œuvres d’Andy Warhol ou encore du célèbre Hokusai. Une conjugaison entre mode, art, et culture populaire qui participe aujourd’hui au succès sans cesse grandissant de la marque. Avec cette nouvelle collaboration, Uniqlo semble cependant aller plus loin. Sacralisé à travers le monde, le Musée du Louvre renferme parmi les toiles les plus importantes de l’histoire de l’art, un coffre aux mille et un trésors inestimables. Au coeur de cette nouvelle collection UT prenant place dans un des plus grands musées du monde se détache une thématique précise étant celle de la femme et de la diversité féminine. Sur les designs basiques et unisexes s’affichent alors des visages et des corps, allant du portrait à la femme nue, en passant par l’image de la mère et de son enfant. Source d’inspiration sans fin, Le Louvre fait aboutir Uniqlo à dix designs caméléons faits pour s’adapter à tous les corps, et qui ont rapidement su séduire le public nombreux de la marque. Un succès sans compromis, et pourtant…À travers le regard d’un amoureux de l’histoire de l’art, difficile de ne pas crier au scandale. Les toiles complexes de Léonard de Vinci perdent toutes leurs couleurs, et ne deviennent que contours, un trait graphique bien loin de la toile de maître. Mona Lisa est découpée au cutter et fleurie d’un bouquet coloré peint par le peintre hollandais Jan van Huysum, de son côté la poitrine de la Venus de Milo s’est vue censurée alors que le corps de la femme se veut célébré. La collaboration prend tout à coup des allures de désacralisation, ne passant pas simplement cette fois-ci par la reproduction, mais par la modification de l’œuvre originale, faisant grincer des dents certains. Peut-être à juste titre. Difficile de ne pas plisser les yeux en lisant sur le site de la marque que les designs choisis soulignent davantage la beauté des œuvres que leurs versions originales. L’avis d’Ernst Gombrich serait peut-être le bienvenu pour répondre à cette question.
Et pourtant, le succès est immédiat. Nous pouvons verser une larme pour la Grande Odalisque désormais bariolée de motifs résolument pop et graphiques qui auraient – et continuent peut-être – faits tâche au temps de Jean-Auguste-Dominique Ingres, mais l’art classique doit peut-être lui aussi vivre avec son temps après tout. En tous les cas, en cette période si compliquée pour les institutions culturelles, la collaboration apparaît comme une bulle d’oxygène. Au-delà de la production de cette collection, nous regardons le mécénat offert au musée français par la marque japonaise, prévu sur une durée de quatre années, comme une étrange lueur d’espoir qui nous pousse à poser la question à laquelle nous n’aurions jusqu’alors jamais pensé : et si la mode sauvait l’art en temps de Covid ? Tous ne seront peut-être pas de grands amateurs des choix esthétiques de la marque japonaise, mais à une époque où l’art est malgré lui relégué au second rang – la question de la réouverture des musées en France reste encore en suspens à l’heure actuelle – le vêtement sert lui d’affiche ambulante. Une piqûre de rappel pour nous dire que oui, la Joconde est toujours là, et qu’elle nous attend. Au-delà de l’évidente publicité pour les deux parties, l’engagement d’Uniqlo auprès du musée par le financement de ses nocturnes mensuelles, mais aussi le parrainage des visites mini découvertes réservées au famille, nous donne envie de rêver d’un monde où la mode et l’art seraient unis au-delà du matériel, mais dans un soutien aujourd’hui devenu crucial. Un rêve d’entraide dont les grands maîtres de l’Histoire de l’Art devront peut-être payer le prix.
Louvre x Uniqlo, collection et information sur la collaboration à retrouver sur www.uniqlo.com/fr/fr/femme/collections-speciales/ut-collection-graphique/louvre-museum