Kyrie l’enchanteresse

Kyrie Kristmanson, en concert le 6 juin prochain dans le cadre des Athénéennes ©DR
Entre voix céleste et mémoire ancestrale, Kyrie Kristmanson traverse les époques comme on franchit un seuil invisible. À la croisée du folk, de la poésie et de l’invocation, elle compose des sortilèges doux et porte une mission : réenchanter le monde. Avant son concert pour les Athénéennes, le vendredi 6 juin à l’Alhambra, elle nous a tendu un faisceau de lumière — une brèche brève dans son royaume mêlé de magie, de traditions et d’échos quantiques. Cette traversée intime annonce la performance qu’elle offrira avec le Trio SR9, qui réveille 800 ans des voix oubliées des femmes troubadours, un voyage cosmico-folklorique qui ranime l’invisible et nous emporte ailleurs.
Votre univers est souvent décrit comme “folk-cosmique”…
Cette étiquette me fait sourire. « Cosmique », sans doute parce que ma musique relie des mondes et des époques, et que ma voix semble tirer vers les cieux. J’ai toujours cru au pouvoir des mots et des mélodies. Elles créent des incantations magiques, ouvrent des chemins intérieurs, vers d’autres mondes — et peuvent transformer notre façon de percevoir celui-ci. Le folk, lui, est ma terre d’ancrage. J’ai grandi au sein de cette scène à Ottawa. Il me parle car c’est une musique du peuple, fondée sur l’émotion brute, loin de l’industrie capitaliste actuelle. Elle puise dans le quotidien, dans les douleurs simples, qu’elle transforme en lumière. Donc elle est cosmique par définition.
Comment devient-on Kyrie Kristmanson ?
C’est un chemin de vie, rester fidèle à ce qui nous habite profondément. Comme un projet d’âme. Très tôt, je me suis promise de ne jamais trahir cette authenticité, même si cela devait prendre plus de temps. Sans concessions. Chaque jour, je renouvelle ce pacte. Il n’y a pas de méthode, juste une intuition tenace et le choix de ne pas suivre le courant dominant. C’est un mouvement en devenir, avec ses jours de doute. Et c’est très bien comme ça.
Croyez-vous en la notion de vieille âme ?
Je crois que certaines rencontres, certaines perceptions, échappent au rationnel. Un jour, après un concert, un petit garçon est venu me voir très sérieusement pour me dire qu’on s’était aimés dans une autre vie. C’était touchant et drôle à la fois. Il y croyait vraiment. Je lui ai d’ailleurs dédié la chanson “Songe d’un ange”. Parfois, mes chansons me traversent comme si elles venaient d’ailleurs. J’ai souvent l’impression de ne pas les avoir écrites. Comme si elles naissaient d’un dialogue entre les âmes, au-delà du temps.
Dans l’une de vos publications, vous parlez du Royaume de l’Ombre. Comment vivez-vous dans celui-ci ? Et comment remontez-vous à la surface ?
C’est un lieu régi par d’autres lois. Un espace de dialogue avec les voix d’avant, les fantômes des siècles passés. Il faut y descendre pour en extraire quelque chose. C’est une terre sombre mais fertile, où vivent nos peurs, nos traumas, notre honte. En s’y confrontant, on remonte avec une matière précieuse. En tant qu’artistes, nous faisons souvent ce voyage. Pour nous, mais aussi pour celles et ceux qui n’ont pas le temps ou l’espace pour le faire. Les chansons sont des élixirs, nées de cette traversée. Elles portent une expérience absorbée, digérée, transformée.
Vous êtes musicienne, chercheuse, conteuse… Vous vous sentez plus proche des sciences, de la magie, ou des deux ?
Je vis mon chemin artistique comme une quête. Tous les outils sont bons pour avancer. Ma mission, c’est le ré enchantement du monde. La science peut y contribuer. La physique quantique, par exemple, me bouleverse. L’intrication, par exemple, est une idée belle, poétique, et réelle — deux choses restent mystérieusement liées, même à distance, comme si elles se souvenaient l’une de l’autre au-delà du temps et de l’espace.
Y a-t-il une chanson qui résume votre essence ?
La chanson de la Comtesse de Die, faite uniquement avec des percussions corporelles. J’aime quand le corps, les mots et la mélodie suffisent. C’est une pratique libre, sans scène ni artifice. On n’a pas besoin d’étudier pour créer. Chacun a une voix.
Vous avez redonné voix aux trobairitz, ces femmes troubadours oubliées… Pourquoi ce projet vous a-t-il semblé nécessaire aujourd’hui ?
L’idée est née d’un constat partagé avec le Trio SR9, un trio de percussionnistes lyonnais : malgré les discours, les compositions féminines restent très peu programmées. Alors on a eu envie de « wack the wack », d’aller au-delà des mots, de vraiment chercher, écouter, révéler. On a exploré comment, sur huit siècles, des femmes ont donné forme à leurs corps et à leurs désirs dans la musique, avec toute leur force, leur fragilité, leur mystère.
C’est un geste sincère, nourri par un vrai travail de recherche — pour les honorer dans leur pleine humanité. On redonne de la chair à ces voix avec un instrumentarium singulier : piano préparé, marimba, glockenspiel, verres d’eau accordés. Ce n’est pas académique. C’est vivant, incarné, presque théâtral.
Les Athénéennes
du 4 au 14 juin 2025
10, Rue de la Rôtisserie
1204 Genève
www.lesatheneennes.ch