Kol: instinct mexicain

Ici, le bois parle bas, les lumières chuchotent, les tables rêvent : KOL, le temple où l’exil trouve enfin son assise (c) KOL

On dit que la cuisine est un pays. Chez le chef Santiago Lastra, elle est plutôt une cartographie intérieure : un territoire de mémoire, d’enfance, de recherches collectées comme des fragments de soleil ancien. KOL, ouvert en 2020 à Londres, est un geste discret : un restaurant qui parle Mexique… sans aucun ingrédient importé du pays ! Tout vient des îles, des champs, des fermes britanniques — mais tout goûte l’âme de là-bas. Un paradoxe ? Non. Un tour de magie.
Vertige culinaire. 

Chez Santiago Lastra, l’exil n’est pas une perte : c’est un terrain de jeu. Il cuisine comme on reconstruit une maison d’enfance avec des matériaux trouvés en chemin — un peu de brume anglaise, une pincée de terre galloise, une poignée d’herbes du Kent, et surtout, cette façon inimitable de transformer ce qui est proche en un souvenir qui vient de loin. Avant KOL, ce nomade des saveurs a dérivé dans vingt-sept pays, portant le Mexique dans ses poches comme un talisman. Chaque escale l’a affûté. Chaque marché l’a sculpté. Chaque rencontre lui a donné un ingrédient qu’on ne cultive pas : la justesse.

Portrait du chef Santiago Lastra Le magicien de l’agave, l’alchimiste des îles britanniques, le sourire tranquille d’un homme qui cuisine la mémoire (c) KOL

Aujourd’hui, KOL est étoilé Michelin, mais cet archéologie du goût parle encore comme s’il débutait — humble, habité, bricolant le sacré dans le quotidien. Il transforme la pluie de Londres en braise mexicaine. Il fait des herbes britanniques des souvenirs d’Oaxaca. Il prouve qu’on peut faire voyager un pays entier… sans le transporter. KOL n’imite pas le Mexique : il le rêve. Il l’évoque comme un parfum qu’on aurait respiré autrefois sans retenir son nom, mais dont le sillage revient obstinément.

La salle : un soleil clandestin
Chez KOL, la salle ne reçoit pas : elle enveloppe. La lumière oscille comme une veillée. Les murs, couleur terre brûlée, semblent respirer doucement. Le bois, la céramique, les fibres naturelles — tout dialogue avec la cuisine ouverte, comme une cérémonie discrète où rien n’est décoratif, tout est signifiant. On observe, on devine, on salive.

Un salon d’ocre et de silence, où Londres se met à parler avec un accent mexicain (c) KOL

Le menu: crescendo d’incandescence
On entre dans le menu comme on entrerait dans un pays interdit : à pas feutrés, le cœur déjà un peu chaviré. Tout commence par une quesadilla qui n’en est pas une, un pli de maïs qui s’ouvre sur un short rib qui fond littéralement en aveu. La truffe noire, elle, n’assaisonne pas : elle chuchote. Elle met du velours là où la viande met de la braise. Déjà, Londres disparaît.

Puis vient le tamal colado, ce flan de maïs au cochon fumé, radis insolent, caviar Kaluya posé comme une étincelle. On dirait un souvenir d’enfance retravaillé par un parfumeur. Un plat qui avance masqué : simple en apparence, redoutablement technique dans l’ombre.

Débarque ensuite le coco — seiche, céleri, cèpes, noix de coco, algue dúlaman — un paysage marin où l’iode flirte avec le sous-bois, un plat qui sent le rivage autant que la forêt, comme un poème bilingue.

Langoustine-signature : la bouchée-totem de KOL : un soleil d’écaille posé sur un tapis de mémoire (c) KOL

Et la langoustine arrive, fumée juste ce qu’il faut, enveloppée dans une tortilla qui raconte mille kilomètres de nostalgie. Le piment fumé et l’argousier lui sculptent un accent, une façon de dire “je viens de loin, mais je suis chez moi ici”.

Les setas — portobello, pasilla, pepita macha, œuf de caille — offrent un moment de répit, mais un répit incandescent : un plat terrestre, un plat brun, un plat qui goûte la pluie, la sève, le bois mouillé. L’œuf de caille, lui, brille au centre comme un soleil miniature.

Puis le zacahuil apparaît, massif et délicat à la fois : truite de rivière, kabocha fondante, mezcal de truite, fleurs de sureau. Une bouchée qui avance lentement, comme un animal mythique. Une douceur qui marche au pas d’une force tranquille.

Le mole final, lui, ne négocie rien. Canard, carotte violette, piment pequin, koji. Un plat qui avance poitrine en avant. Le genre d’assiette qui raconte une histoire plus ancienne que nous. Ici, la douceur n’existe qu’à travers le feu.

La fameuse Paleta: dessert aux fourmis Une petite bombe glacée : paleta bicolore, piquée de fourmis, entre insolence et haute voltige (c) KOL

Et quand on pense avoir tout vu, la salle bascule dans l’insolence joyeuse de KOL : le dessert aux fourmis. Une paleta poire-betterave-piment pêche-yaourt… et ces fameuses fourmis, craquantes, citronnées, malicieuses. Elles arrivent comme la dernière phrase d’un roman : inattendues, mais absolument nécessaires. Les fourmis ne décorent pas : elles réveillent. Elles tordent le palais, elles décuplent la lumière. Elles signent le repas comme un point d’exclamation.

La Mezcaleria : le cœur battant sous le plancher
Descendre à la Mezcaleria, c’est passer de la cérémonie à l’instinct. Ici, on rit plus fort. On boit plus profond. La pièce basse, ombrée, parfumée de bois et d’agave, ressemble à une confidence qu’on se chuchote entre étrangers.

La Mezcaleria au sous-sol, la cachette vibrante du lieu : ici, l’agave mène la danse et la nuit fait claquer sa langue (c) KOL

Les cocktails jouent la double nationalité : Hot & Cold, Sorrel & Hop Sour, des créations où l’agave rencontre le climat britannique — et où personne ne semble choqué par l’union. Les Antojitos, eux, sont la gourmandise qui casse les codes : truffe dans la quesadilla, wagyu dans l’empanada. Du street-food réinventé, réhaussé, réenchanté.

KOL : exil en éveil
C’est ça, finalement, la vraie force du lieu : cuisiner un pays sans l’importer. Faire survivre une mémoire sans l’exotiser. Honorer un héritage sans le figer dans le formol des cartes postales. Lastra ne cherche pas la fidélité : il cherche la vérité! Et sa vérité brûle bas, tourbillonne haut, murmure loin, éclaire juste! Toque basse maestro.

Le chariot des esprits : une procession d’agaves en bouteille, prête à raconter ses secrets sous la lueur des murs patinés (c) KOL

KOL Restaurant
9 Seymour Street, London W1H 7BA

kolrestaurant.com