HYMNE À L’HUMAIN
Yangshuo Cormorans, Yangshuo – China, 2005 © Jimmy Nelson
Il y a des photos qui font rêver. Celles de Jimmy Nelson en font partie. Esquimaux, Pygmées, Indiens, Aborigènes, Maoris, ou Papous, ce photographe intrépide les a tous photographiés. Coiffes de plumes, peintures faciales, regards fixes qui transpercent et qui ne cillent pas, ces tribus posent tels des pros au milieu de la jungle, du désert, de steppes ou de montagnes. Eparpillés sur tous les continents tels des confettis ethniques, ostracisés dans les replis les plus insaisissables de la planète, ils deviennent grâce à ces photographies moins étrangers, bien que toujours étranges. Les clichés de Jimmy Nelson ne tiennent qu’à un fil, à l’image du monde de ces gardiens d’une culture en voie de disparition. Ils sont suspendus dans cet énorme vide, comme les lianes tombées de la canopée. Et il y règne à la fois une harmonie, mais également l’idée d’un péril sourd, indicible comme la nuit qui libère les esprits de la forêt. Voici ici toute la force et l’éloquence du travail de Jimmy Nelson. On l’a rencontré le temps d’un bon thé Newby’s dans la boutique éponyme à Gstaad où il y expose ses clichés à portée humanistes jusqu’au 29 février puis en parallèle à la Galerie Patricia Low. Il nous y a partagé ses expériences fascinantes et déroutantes. Close-up.
De l’Ethiopie à l’Amazonie et de la Papouasie à la Sibérie, quand et comment avez-vous débuté cette odyssée inouïe ?
Le voyage a débuté dans mon enfance. J’ai grandi jusqu’à l’âge de 7 ans à l’image de Mowgli en jouissant d’une liberté illimitée et en voyageant avec mon père géologue, collectant des pierres. J’ai grandi dans la majorité de ces régions où je prends ces photos aujourd’hui. Puis mes parents ont décidé de rentrer au Pays-bas. J’y ai été placé dans un pensionnat catholique jésuite. Ce fût une expérience indicible et terrible. Je suis passé d’un extrême à un autre, d’une liberté débridée à une captivité castratrice. J’ai été déconnecté de la réalité. Ainsi, à cause d’un stress cumulé, j’ai perdu mes cheveux et poils à 16 ans. Je lisais beaucoup Tintin et j’avais vu qu’au Tibet il existait des moines sans cheveux, comme moi alors j’ai décidé une fois avoir atteint 17 ans de m’enfuir là-bas. Ce voyage a été un processus de re-connexion afin de me retrouver. Et mon appareil photo était une métaphore pour enregistrer ceux rencontrés. Cela a duré deux ans et les tibétains m’ont couvert d’amour et d’attention. Ils m’ont accueilli comme jamais auparavant on m’avait reçu pas même dans ma propre culture. 33 ans plus tard, je poursuis ma quête. Je ne suis ni anthropologue, ni ethnologue, j’essaie juste de me reconnecter avec des gens qui sont humainement très riches et réels. J’essaie de retrouver mon identité, une forme d’équilibre.
Votre habileté à gagner la confiance des personnes normalement inaccessibles est surprenante. Comment procédez-vous lors de vos voyages ?
Ce qui est important c’est votre attitude face à l’autre. Lorsque vous débarquez dans un lieu étranger, vous devez vous adapter et mettre votre égo de côté. C’est indispensable. Si vous arrivez discrètement en faisant preuve d’humilité, vous pourrez vous rapprochez. Il faut que l’autre ne se sente pas menacé. Je travaille sans interprète et la communication se fait toujours avec la gestuelle et la langue des signes. Cela demande beaucoup de travail. Et j’aime à comparer mon attitude à celle de Mister Bean car sa naïveté et sa vulnérabilité amènent une forme d’empathie. Tout le monde l’aime et interagit facilement avec lui.
Est-ce que vous travaillez beaucoup en amont avant de partir à la rencontrer d’une nouvelle tribu? Allez-vous avec un plan spécifique ou travaillez-vous spontanément?
Non, car si vous vous préparez trop en avance, vous risquez d’être déçu et frustré. 1/3 est controlé, et les 2/3 restant relève de l’inconnu. Ici, la sérendipité opère ainsi que la magie. Vous devez donc laisser beaucoup d’éléments ouverts.
Les tribus posent pour vous. Il y a tout un travail de scénographies, tout n’est pas naturel ici…pourquoi?
La grande majorité des personnes que j’ai photographiées ne savaient pas ce qu’était un appareil photo. Je dirai que 80% de ce que vous voyez est comment ils sont et ce qu’ils portent au quotidien. Puis 20% représentent mon travail créatif, là où j’ai encouragé ces tribus à poser de manière fière et plus festive. C’est comme prendre une photo de votre famille où vous leur demandez de se parer de leur plus plus beaux vêtements. Il s’agit toujours de vos proches, mais une version meilleure de celle-ci. Ici, le costume est purement un catalyseur, un leurre visuel pour amener les gens à l’interaction. La vraie valeur de la beauté est ce que vous ressentez à l’intérieur, pas ce à quoi vous ressemblez. Mes clichés sont une représentation iconique et romantique de ces cultures et l’objectif reste de les mettre en exergue pour que le monde les découvre et ne les oublie pas.
Quelle a été l’ethnie la plus difficile à approcher?
La mienne (rires)! J’en ai tout de même besoin car ce projet nécessite des fonds et je fais appel à des mécènes. C’est très difficile car mon projet est indépendant, autofinancé ainsi j’ai crée une fondation avec une mission de réciprocité. Ainsi, je dois rendre quelque chose que j’ai pris. Ici, il n’y a pas de parrainage. Il n’y a pas de financement. Alors nous vendons des livres et des photos pour faciliter le projet. Maintenant, je ne récupère pas d’argent directement. Tout d’abord, je rends les livres et les images aux tribus photographiés. C’est la première étape. Puis, grâce à la fondation, je permets à d’autres photographes et cinéastes d’élargir et de poursuivre ce thème afin de rassembler une documentation iconique visuelle plus large de ces dernières cultures autochtones avant leur disparition. La Fondation essaie également de soutenir la construction de centre de culture de ses ethnies afin de préserver leur héritage culturel.
Exposition Jimmy Nelson
26 Laurenenstrasse, 3780 Saanen
Patricia Low Contemporary
Jusqu’au 15 février Wispilenstrasse, 3780 Saanen