Francesca Fucci, la mer en héritage

Il y a dans sa cuisine l’odeur du Sud, le sel qui colle aux doigts, les vents d’ailleurs et les silences des ports. Francesca Fucci ne se contente pas de cuisiner la mer — elle la traduit. Cheffe du Fiskbar, la table signature Ritz-Carlton Hôtel de la Paix à Genève, adresse iodée où chaque plat ressemble à un souvenir revenu du large, cet astre solaire incarne une gastronomie de l’émotion, du geste juste, de la simplicité savante. 

Portrait de cet océan de talent originaire de Margherita di Savoia – un nom qui déjà sonne comme une recette en soi.

L’Italie comme racine, le monde comme semence
Son accent est doux mais son parcours ne l’est pas. Née dans les Pouilles, entre oliviers millénaires et rivages battus par les vagues, Francesca grandit dans une maison où l’on parlait fort et où l’on cuisinait vrai. Une grand-mère qui préparait les oursins comme d’autres récitent des poèmes. Un père pêcheur. Une enfance faite de marchés matinaux, de tomates écrasées sur du pain encore tiède, de poissons qui frétillent encore sur la planche. Le goût, chez elle, a toujours été une langue maternelle.

Avant de poser ses couteaux à Genève au Fiskbar, elle a roulé sa bosse. Naples, Marseille, Lisbonne, Copenhague : chaque ville est venue enrichir sa partition. Pas pour copier, mais pour capter. Apprendre une cuisson ici, un assaisonnement là, comprendre le rythme d’un service, le tempo d’un produit. Elle travaille avec la rigueur d’un chef étoilé, mais refuse les chichis. Ce qui l’intéresse, c’est l’essence : le produit, la saison, la justesse.

Entre fumaison, fermentation et émotion
Au Fiskbar, ni bistro figé dans ses codes ni table snob pour initiés, Francesca propose une mer sans masque. Crue parfois, brûlante souvent, brute toujours. Des ceviches ciselés au cordeau, des poulpes fondants, des bouillons clairs comme une aube d’été. Ici, le poulpe fait sa star en tempura, l’hibiscus joue les notes florales et l’ail noir murmure des secrets d’umami. Le homard, lui, se pavane dans une brioche, pendant que la pomme de terre, humble en apparence, joue la diva texturée. Ces assiettes racontent des ports, des départs, des retours. On y sent le large, mais aussi l’intime. Et c’est ça, la force de Francesca : faire simple sans jamais être banal, faire puissant sans jamais être lourd.

Une cheffe à la nature incarnée 
Zéro déchet, 100% sincère, la cheffe n’en fait pas tout un plat, mais elle veille. À la traçabilité, au local, au saisonnier. Elle cuisine avec sa conscience autant qu’avec ses couteaux. Son marché, c’est la nature ; ses fournisseurs, souvent les forêts, les fonds marins, les artisans passionnés. Et ça se sent à chaque bouchée. Pas de blabla, juste de l’émotion brute, taillée comme un sashimi dans la vérité. Ainsi, dans sa quête de saveurs, dès que le matin se lève, quand la brume effleure encore les cimes, Francesca part, panier sous le bras, à la recherche des trésors que la terre a à offrir. Ses cueillettes ne sont pas un simple acte utilitaire, mais un dialogue, une communion avec le monde végétal. Chaque plante, chaque fleur qu’elle ramasse porte en elle un fragment d’histoire, une touche d’âme sauvage. La forêt devient son marché, ses champs sont des tableaux vivants où la saison se réinvente à chaque pas. Quand elle revient au Fiskbar, ses mains, parfumées des senteurs fraîches de la nature, transforment ces herbes et fruits sauvages en créations culinaires d’une rare poésie. C’est dans ce rapport intime et sans artifice avec la nature qu’elle trouve sa vérité, la clé des saveurs les plus pures et des plats les plus authentiques.

Francesca Fucci, enfant de la nature ©DR

L’art de lier des saveurs et des âmes
Son équipe ? Une brigade soudée comme une pâte bien levée, qu’elle pétrit avec bienveillance et feu intérieur. Le management à sa sauce : exigeant mais nourrissant. Résultat : elle tranche dans le vif, mais toujours avec tendresse. Cheffe d’aujourd’hui mais d’un autre temps, elle réconcilie artisanat et modernité. Elle n’a pas besoin de tweezers ni de concepts fumeux. Juste de bons produits, de l’intuition, et cette main qui ne tremble jamais quand il s’agit de sublimer la mer.

En salle, elle ne parade pas. Elle veille. Elle observe. Elle connaît chaque client régulier, se souvient d’un vin adoré, d’un plat commandé « comme la dernière fois ». Francesca ne fait pas de marketing. Elle tisse des liens. Avec ses producteurs, son équipe et avec les gens qui viennent chez elle pour plus qu’un repas. 

“Mon but, c’est de créer des émotions. Pas juste de nourrir. Je veux que les gens repartent avec quelque chose qui reste. Comme un parfum. Ou une chanson.”

— Francesca Fucci

Et c’est exactement ça. Dîner chez Francesca, c’est comme écouter un morceau qu’on n’oublie pas. Un goût, un accord, une sensation qui vous suit longtemps après le dernier coup de fourchette.

La cheffe et sa brigade ©DR