Filmar: lucarne sur l’Amérique Latine

Le confinement se prête volontiers à des sessions films à la casa. Les écrans peuvent se dévoiler comme des fenêtres sur le monde extérieur à l’instar de Filmar en America Latina, le festival dédié au cinéma latino qui s’est adapté à la situation extraordinaire en offrant pour cette édition une version digitale. La manifestation devenue incontournable à Genève tient le haut du pavé. Le festival déploie sa palette de productions multifacettes et nous embarque dès aujourd’hui pour un voyage dans des villes bouillonnantes de contrées contrastées. Panoramas splendides, jungles d’émotions, fleuves de surprises, personne ne rentrera indifférent de cette aventure. A travers sa variété de films présentés, la programmation promet de bousculer les imaginaires, de questionner le réel et de créer de nouvelles rencontres et interactions foisonnantes et passionnantes. Rushs choisis avec Vania Aillon, la directrice du festival Filmar que nous avons rencontré avant l’annonce du confinement.  

Interview réalisé avec Joséphine Vuigner 

Comment s’est déroulée l’organisation du Festival dans ces circonstances sanitaires très particulières ?

Comme tout le monde, nous nous sommes arrêtés au mois de mars, alors que nous étions en train d’organiser notre programmation. La pandémie en Amérique latine a été très forte dès le début, nous avons donc compris que cela aurait des conséquences pour nous et qu’il faudrait fonctionner différemment. Par-là, j’entends travailler avec des associations partenaires qui sont en lien avec l’Amérique latine à Genève ou programmer des films de réalisateurs se trouvant en Europe pour permettre leur présence à la projection et organiser des Q&A live. L’idée est de créer un autre lien avec le réalisateur et le publique de part ces interactions live tout en gardant les projections en salle dans la mesure du possible. Durant toute l’organisation, nous sommes restés dans l’optique que Filmar est un des plus grands festivals présentant des films d’Amérique latine et que c’est notre mission de proposer une programmation pointue avec des thématiques liées aux droits humains, l’émancipation féminine, aux historias queer et cela a assez de force pour persister.

Vivos de Ai Weiwei / 27 blessés, six morts et 43 toujours disparus. Depuis l’attaque de la police contre des bus d’étudiants à Iguala, en septembre 2014, les familles vivent dans la douleur d’un deuil impossible. Au fil des témoignages et des éléments de l’enquête se dégage un récit complet de ce crime impuni et un hommage puissant, tout en sobriété, à la résistance collective.

Vous définissez le cinéma comme une expérience collective. Comment créer cette expérience concrètement pour cette édition ?

C’est la question que nous nous sommes posés et quel est le sens d’offrir notre programmation digitalement. Personnellement c’est très difficile, j’ai parfois l’impression de faire partie du vieux monde, l’expérience en salle est celle qui me réjouit le plus. Lors du premier confinement nous avons été très portés sur nos écrans et des fois s’y trouvait la fatigue et la tristesse d’y être alors forcément, nous allons faire des choses en ligne, mais c’est n’est pas notre but premier. Cependant, nous avons toujours des thématiques fortes qui provoquent la discussion ainsi qu’un public très diversifié et multiculturel créant la rencontre, l’expérience collective se fait donc par la discussion et la rencontre des publiques.

L’équipe du Festival Filmar avec au centre la directrice Vania Aillon

Pensez-vous que les festivals vont devoir se réinventer suite à cette situation ?

Je pense que cette transformation était déjà en cours et que la situation l’a juste accélérée. Nous regardions déjà tous des films ailleurs qu’en salle, sur nos téléphones et nos ordinateurs en ligne. Nous allons d’ailleurs dédier une table ronde en ligne sur ces questions. Tous ces modes de diffusion du film sont liés et ne sont pas antinomiques. J’ai l’impression qu’il va y avoir une adaptation mais que celle-ci peut être multiple. Elle obligera tout un chacun à créer une multiplicité des moyens de diffusion. C’est un défi à relever qui n’est pas nouveau mais qui s’est intensifié.

Cette année avez-vous une thématique centrale, un pays mis à l’honneur dans votre programmation ?

Non, nous avons plutôt des thématiques récurrentes à chaque édition. Nous projetons des films à consonance de droits humains. Ainsi, cette année nous avons Vivos de Ai Weiwei traitant des disparus au Mexique, Nustras Madres qui a été caméra d’or au festival de Cannes en 2019 mais encore Silence Radio de Juliana Fanjoul traitant d’une journaliste mexicaine peinant à mener son travail dû à la corruption. Nous avons aussi des films abordant la condition féminine. Nous collaborons entre autres avec Les Créatives pour un film faisant le portrait de cinq femmes afro-descendantes sur le thème de la négritude. Nous proposons aussi le thème de l’émigration, avec en avant-première la projection de Los Lobos, primé à Berlin: il relate l’histoire de mexicains aux États-Unis. Il y a également Lina de Lima sur le même thème avec un ton plus joyeux. La thématique autochtone est également une constante, avec Amazonian Cosmos de Daniel Schweizer abordant l’autonomie des peuples autochtones au Brésil, la difficulté de défendre les territoires et comment Genève est un lieu permettant de faire entendre leurs voix.

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Lina de Lima de María Paz González / Un regard décalé sur une réalité sociale universelle que la cinéaste aborde par le prisme de la comédie avec des touches de fantaisie musicale. Lina de Lima est le portrait d’une super-héroïne ordinaire, une femme qui a quitté son pays pour un autre afin d’offrir un futur à ses enfants.

Cette année le visuel du festival tourne autour de glyphes mayas de main, pouvez-vous nous en dire plus et y-a-t-il un lien avec votre sélection ?

Au vu de la situation au Mexique, mis à mal ces temps dû à la corruption, nous trouvons beaucoup de films sur les droits humains au Mexique dans notre sélection, cela fait donc un lien avec notre visuel. L’affiche quant à elle s’est faite en deux temps: ces glyphes liés à l’imagerie maya sont tout d’abord très graphiques. En outre, les mains symbolisent l’encadrement, le cadre, le hors cadre, un vocabulaire très cinématographique. Cela faisait sens pour nous.

Quels sont vos critères de sélection pour le choix d’un film?

Nous choisissons des films qui viennent nous bouleverser en tant que spectateur, des films qui suscitent de fortes émotions et qui obligent à devoir se positionner différemment. Notre programmation englobe des films d’auteurs et de films grand public. C’est un désir que je tiens à perdurer, cela permet de garder le festival accessible à tous et de ne pas le cloisonner à un milieu. Nous voulons aussi par notre sélection amener un regard actuel loin des stéréotypes sur l’Amérique latine en faisant par exemple découvrir des films venant de pays émergeants. Globalement notre sélection se focalise toujours sur le spectateur.