FIFDH : images au poing

aKasha de Hajooj Kuka © DR

Une 17ème édition et un engagement intact : le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) s’affiche une fois encore avec une offre pléthorique, dessinant un large panorama de l’état actuel desdits droits, des outrages qui leur sont faits, mais aussi des luttes menées pour les défendre. Durant dix jours, le FIFDH offre écrans, murs, scènes et surtout la parole à près de 300 invités venus de tous les continents pour faire part de leur combat, de celui des autres, qu’ils soient apparentés ou carrément aux antipodes. Car s’il est indiscutable que les droits humains sont offensés partout, tout le temps, ces attaques rencontrent – et rencontreront toujours – des mouvements de résistance ; c’est par et pour eux que le FIFDH existe, porte-voix qui s’affirme comme un événement culturel (mais pas que !) majeur de la Genève internationale. Succinct survol d’un événement foisonnant.

Les droits humains en péril

Les atteintes aux droits humains ne connaissent bien entendu pas les frontières et présentent une multitude de visages. Ainsi, pour s’y retrouver dans ce tourbillon de violence, de résistance, de questionnements – et accessoirement dans la programmation du festival –, le FIFDH mouture 2019 se décline en plusieurs axes majeurs. Outre les catégorisations d’ordre géographique, les thèmes prépondérants de cette édition sont les migrations, les mouvements citoyens, la justice, l’environnement, les médias, le numérique et l’innovation, la précarité et la santé. A noter que le festival s’ouvre le 8 mars, soit la journée internationale des droits des femmes, celles-ci étant particulièrement bien représentées de même que les problématiques liées aux discriminations faites à l’encontre de la moitié des représentants de notre espèce. Les offenses aux droits des personnes LGBT+ sont également mises en avant, notamment par l’hommage à la jeune Evdokia Romanova, militante condamnée en Russie pour « propagande homosexuelle »… Pour dresser au mieux un état des lieux de l’actuel champ de ruines des droits humains, le FIFDH propose donc de déconstruire l’articulation de ces thématiques les unes avec les autres, comme autant de fils rouges entremêlés de la vaste toile qui fait suffoquer l’humanité.

Tenu en marge du principal Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, le FIFDH lui fait écho mais de manière bien plus radicale que par les souvent timorés échanges en salons feutrés. Le festival est l’occasion pour les artistes, intellectuels et activistes de tout poil de se réunir à Genève, d’y présenter leurs œuvres – principalement des films –, de (re)mettre à jour des situations alarmantes de par le monde, de débattre, d’envisager des solutions et surtout de partager, y compris avec le public toujours plus nombreux (et jeune ! plus de la moitié des festivaliers a moins de 35 ans). Pour ce faire, le principe est donc toujours le même, résidant dans une savante orchestration entre les aspects « forum » et « film » tout en intégrant des supports alternatifs tels les conférences, rencontres, les expositions, le théâtre, la BD et même un hackaton ! Impossible ici de faire le tour de cet événement particulièrement fourni ; Go Out ! vous propose donc une sélection, nécessairement trop modeste – en plus d’être arbitraire – au regard de la richesse du programme.

Evdokia Romanova © DR

Forum

La soirée d’ouverture est dédiée aux femmes qui consacrent toute leur énergie à la défense des droits humains et donne la parole à trois d’entre elles, soit Sareta Ashraph, avocate enquêtant pour l’ONU sur les exactions de Daesh ; Hajer Sharief, engagée dans l’encouragement à la participation politique des femmes et des jeunes en Libye ; et Tetiana Pechonchyk, éminente défenseuse de la liberté d’expression en Ukraine. A cette occasion, c’est le documentaire multi-primé On Her Shoulders d’Alexandria Bombach qui sera projeté (en compétition dans la catégorie Documentaire de création). Celui-ci retrace l’épuisant combat de Nadia Murad, Prix Nobel de la Paix 2018, jeune yézidie anciennement captive de Daesh et qui, depuis sa fuite, s’est lancée corps et âme dans l’inlassable défense de son peuple. Mais à quel prix ?

Autre conséquence de la mainmise de Daesh et de l’ensemble des conflits et jeux de pouvoir stratégiques moyen-orientaux en cours sur l’actualité: la Palestine se trouve comme reléguée au placard. Pour en discuter, Pierre Krähenbühl, Commissaire général de l’UNRWA, et Me Noura Erakat, spécialiste des droits humains. Le film The Occupation of the American Mind, narré par Roger Waters (membre fondateur de Pink Floyd), démontre en parallèle à quel point les informations relatives à ce conflit sont biaisées dans les médias américains.

Documentaires de création

Dans le cadre du conflit israélo-palestinien encore, la combative avocate israélienne Léa Tsemel fait l’objet d’un film qui porte son nom, dressant le portrait de celle qui défend avec acharnement des Palestiniens de toutes obédiences depuis un demi-siècle. Honnie par beaucoup dans son pays, elle répond à ses parfois très menaçants détracteurs par une répartie sans pareil et des convictions farouches.

Grands reportages

Parmi les douze reportages en compétition, Strange Fish de Giulia Bertoluzzi – aussi présenté dans le cadre d’un débat autour de la criminalisation de la solidarité –s’intéresse aux pêcheurs de Zarzis en Tunisie, qui retrouvent régulièrement des cadavres flottants de personnes ayant tenté la traversée de la Méditerranée, auxquels ils offrent systématiquement un enterrement.

Sur un ton plus léger bien qu’il traite d’une situation dramatique, Hamada, réalisé par Eloy Dominguez Serén, pose le regard sur une zone complètement oubliée du reste du monde : le Sahara occidental. Disputée aux Sahraouis par le Maroc depuis le retrait des colons espagnols en 1975, cette gigantesque étendue désertique s’est vue affubler par Rabat d’un mur de sable de 2700 km – agrémenté de mines antipersonnel, entres autres armes – visant à tenir à distance les indépendantistes. Avec pour résultat des camps de réfugiés isolés dans le désert depuis des décennies. Hamada donne la parole à des jeunes nés dans l’un de ces camps, des passionnés de mécanique occupés à bidouiller des voitures qui ne les emmèneront probablement jamais bien loin.

Mentionnons encore la présence du célèbre artiste et dissident chinois Ai Wei Wei qui présentera XIMEI aux côtés d’Andy Cohen, réalisateur de ce film consacré à Liu Ximei, jeune femme luttant pour les droits des personnes séropositives en Chine, dont beaucoup ont été contaminées lors de campagnes de dons du sang encouragées par le gouvernement dans les années 90. Mais encore, à une échelle très locale, Opération Papyrus se penche sur cette mesure inédite et tout juste achevée visant à régulariser le statut des « sans papiers » présents sur sol genevois depuis plus de dix ans.

Fictions

Du côté des réalisations fictives en compétition, citons aKasha du Soudanais Hajooj Kuka, qui conte l’histoire d’un jeune soldat parmi les rebelles alors au pouvoir, aussi épris de son AK-47 que de sa fiancée. Malencontreusement condamné à être arrêté suite à un retard après une permission, il se trouve en fuite avec un pacifiste et donc déserteur. Commence alors une épopée tragi-comique, tournée sur place avec des comédiens du cru.

Primé au Festival de Venise l’an dernier, Manta Ray, premier film de Phuttiphong Aroonpheng, dépeint le drame des Rohingyas par le biais de l’amitié improbable entre un pêcheur thaïlandais et un homme qu’il retrouve inconscient et muet, le tout servi par une ambiance sonore et visuelle ultra travaillée, laissant présager au cinéaste une grande carrière.

Les pêcheurs de Zarzis, mis à l’honneur dans Strange Fish © DR

En partenariat

Parmi la dizaine d’événements partenaires, citons la projection de Docteur Junod, le troisième combattant, de Romain Guélat et Jean-François Berger, ancien délégué du CICR tout comme l’était Marcel Junod (1904-1961), autour duquel tourne le film. Figure plutôt méconnue en des terres helvétiques qui l’ont pourtant vu naître, le Dr. Junod – médecin-aventurier à l’engagement humanitaire sans compromis – jouit d’une forte notoriété au Japon. Et pour cause, il fut le premier médecin étranger à débarquer avec des soins à Hiroshima en 1945. En sus du Japon, le tournage s’est poursuivi en République Démocratique du Congo sur les traces d’une cheffe de délégation du CICR, Christine Cipolla, et de l’héritage du Dr. Junod dans le cadre de missions de terrain qui ont bien changé depuis son époque.

Mais encore…

Quantité d’expositions – photographiques en particulier – sont à découvrir en parallèle au festival, nous menant de Meyrin à l’Algérie, du Liberia à Hong Kong, de Gaza au Venezuela ; autant de périples en images qui nous rappellent que les violations des droits humains et leurs conséquences laissent leur empreinte absolument partout. Et pour en discuter – ou de tout autre chose ! – avec celles et ceux qui y ont eu affaire de façon certainement plus directe, des projections et repas sont prévus dans les centres d’hébergement collectif des Tattes et de Presinge.

17e Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH)
Du 8 au 17 mars
Divers lieux
fifdh.org