Farid Bentoumi voit « Rouge »

Zita Hanrot et Sami Bouajila dans Rouge l’éco-thriller de Farid Bentoumi

Après Good Luck Algeria, Farid Bentoumi plante sa caméra dans une usine chimique avec Rouge. Ici, il nous file des frissons à travers un eco-thriller qui regarde droit dans les yeux certaines réalités sociales et sanitaires de notre époque. Le jeune réalisateur dénonce les pratiques scélérates d’industries pollueuses en filmant au plus près des personnages aux abois. Il y confronte Zita Hanrot et Sami Bouajila qui s’affrontent dans un duel formidable. Un thriller vert rare engagé et passionnant qui brasse nombre de sujets essentiels actuels :  l’environnement, le rôle des lanceurs d’alerte et le lien social.

Tête à tête passionnant avec Farid Bentoumi, qui nous parle de son deuxième film où tourments intimes et analyse sociale se mêlent remarquablement.

Synopsis:

Nouveau film de Farid Bentoumi, Rouge raconte comment Nour, infirmière embauchée dans l’usine chimique de son père délégué syndical, va s’allier à une journaliste pour mener l’enquête sur la gestion désastreuse des déchets, les mensonges de l’entreprise, les accidents dissimulés. Un choix s’impose à la jeune femme : trahir son père et faire éclater la vérité ou se taire.

Avec Rouge, vous changez totalement de registre mais on trouve dans vos deux films des valeurs communes familiales dont la transmission…

C’est juste. Dans Good Luck Algeria, j’ai voulu parler de la transmission, de ce que l’on donne, des terres, de nos origines, notre culture. Le film m’a beaucoup nourri et appris. Et j’ai pensé à ce que mes parents m’avaient légués comme idéaux. Ils étaient tous deux très engagés dans le mouvements de la paix, syndicalistes et communistes. Qu’en ai-je gardé? Cela m’a marqué mais je ne m’engage pas de la même façon. Je suis devenu réalisateur. Et j’ai trouvé intéressant de mettre en parallèle l’engagement de deux générations. De là sont nés mes protagonistes de Rouge. L’un est ouvrier, délégué du personnel et qui défend les autres ouvriers, alors que la fille est une infirmière. Elle devient lanceuse d’alerte, elle a hérité de cette notion de justice mais elle ne la met pas au service de la même cause: l’écologie, la santé, la sauvegarde du monde. Ici, c’est la passation de transmission que je mets en exergue. 

Du coup l’envie de Rouge est partie d’où ? De raconter votre père ? 

Oui, le milieu ouvrier est celui de mon père. Pas beaucoup de réalisateur sont les fils d’un ouvrier. Je trouve intéressant de traiter de cette thématique. Cela parle de mon père mais également de mon expérience en entreprise. Cela croise un questionnement personnel et des questions plus larges de société. Mes deux films sont construits ainsi. Dans Good Luck Algeria, je pars de la famille, un cadre très intime pour traiter un sujet qui est beaucoup plus grand: l’identité, son héritage et ce que l’on fait de notre culture. Dans « Rouge », je traite également du lien familial puis de l’engagement. Mes deux personnages ont cela en commun, celui d’être au service des autres. 

Je vois que vous portez des Veja…êtes-vous engagé? 

Je trouve que je ne le suis pas assez! Je m’engage par mon métier. J’essaie de faire réfléchir les gens. Mais je n’ai pas assez revu mon mode de vie. Je fais attention à ce que j’achète, je trie, je ne consomme plus chez les immenses groupes de vêtements ni dans les hypermarchés parce que j’ai les moyens de consommer bio. J’ai changé ma façon de consommer. Après je suis toujours sidéré de voir que certains de nos dirigeants vont à l’encontre de nos efforts personnels, comme l’exploitation du gaz de schiste. Le questionnement doit se faire de manière plus large. Chacun doit être responsable et s’engager au-delà de ses actions quotidiennes de tri ou autre. C’est une question de vision de notre monde. Il faut penser global. L’effet papillon n’a jamais été aussi éloquent qu’avec la pandémie que nous vivons actuellement. J’espère que cette expérience sanitaire mondiale permettra un choc et une prise de conscience sur l’idée que nos actions dépendent toutes les une des autres sur notre futur commun. 

Est-ce que vous êtes à l’image de Nour, la lanceuse d’alerte de Rouge? 

Je ne sais pas si j’aurais son courage et je pense qu’on écrit des films pour mettre des héros qui ont plus de courage que nous! C’est difficile d’être aussi téméraire. Nour est à l’image d’une héroïne de dramaturge grecque. Il y a plein de moments dans le film où elle exprime cette idée que cela la dépasse. Elle ne sait pas comment gérer cette responsabilité. 

Et c’est d’autant plus difficile de le faire en tenant tête à son père…

Oui, et j’ai trouvé intéressant de mêler un drame intime à une tragédie sociale. Elle se retrouve confrontée à choix cornélien. Souvent, dans les tragédies grecques, on brise les liens familiaux pour dénoncer une situation injuste, un abus de pouvoir…

La fin dans votre film est tout de même moins dramatique que dans une tragédie grecque! 

Effectivement, je n’avais pas envie d’une fin pessimiste où le spectateur n’a plus d’espoir. Ma volonté c’était qu’il y ait un basculement de génération. Je trouvais trop facile que la jeune Nour soit seule dans son alerte et critique le vieux monde des hommes. Cela ne correspond pas à ce dont je souhaite pour la société. C’est là que mon regard d’auteur crée la fiction. J’ai envie que les politiciens soient bousculés par la jeune génération et qu’ils n’attendent pas que cette dernière prenne le pouvoir dans 20 ans! Il faut que cela soit maintenant. Les jeunes bougent, il faut les écouter! Tel est le message que la classe dirigeante devrait entendre ici. 

Quand à la perspective de mon film, j’écris avec un seul point de vue, celui de mon personnage principal. Je le place le spectateur d’un point de vue naïf. Ainsi, quand on suit Nour, lorsqu’elle arrive à l’usine, c’est la première fois qu’elle y met un pied tout comme le spectateur. Ce dernier fait l’expérience avec mon personnage en même temps. Ainsi, on s’imprègne du regard de Nour et d’un seul coup quand cela bascule on passe au point de vue du père. Cela permet une remise en question et une prise de conscience.

Vous avez toujours ancré une approche du réel dans votre cinéma. Même si vous avez écrit le film bien avant la crise sanitaire, on peut dire qu’il colle vraiment à la réalité du moment…

Quand j’écris un film, surtout un film politique et engagé, je me dis que je dois être irréprochable. C’est-à-dire que je ne peux pas écrire un personnage d’infirmière sans faire lire le scénario à une infirmière. J’ai donc fait lire le scénario à une infirmière, un journaliste, une journaliste, mon oncle syndicaliste, etc.. Je fais lire à des professionnels qui auront des remarques pertinentes et justes. Cela nourrit mon film et ses personnages et rend le cinéma plus réel. Tout est ancré dans la réalité. Cela peut faire documentaire mais cela reste de la fiction. 

 

 

Rouge de Farid Bentoumi
Sortie Suisse depuis le 17 août 2021