Exploitation de sauterelles

L’excellent premier long-métrage de Just Philippot s’est vu annuler au calendrier des salles obscures à la fin de l’année dernière, pour mieux renaître en juin 2021 sur les écrans. Certaines revues de presse l’ont classé à tort dans la catégorie de l’horreur (il y emprunte seulement la menace). Mais pourquoi lui coller cette étiquette, alors que le réalisateur lui-même s’en défend ?: « J’avais envie de rester à la bonne distance pour faire d’avantage du film un constat ou une métaphore de notre époque »

Etude genre

« La Nuée » se situerait plutôt au croisement du cinéma d’auteur et d’exploitation. Soit une œuvre reflétant une vision artistique et privilégiant des coûts de production minimes. « La Nuée » confirme la règle sans en être l’exception, puisque son budget avoisine les 2,5 millions d’euros pour 35 jours de tournage. Sauf que ce type de cinéma s’accompagne habituellement d’un versant péjoratif, celui d’avoir en point de mire des bénéfices rapides, au détriment de la qualité. Ce n’est évidemment pas le cas ici. Alors si la vision et le savoir-faire du réalisateur sont bien au rendez-vous, que nous raconte-il?

Virginie (Suliane Brahim) parmi ses protégées – Photographie: The Jokers / Capricci

Chronique sociale sanglante

L’intrigue prend place de nos jours et s’articule autour de Virginie, mère célibataire et agricultrice, qui élève à la campagne ses deux enfants et beaucoup plus de sauterelles qu’elle considère comme la nourriture de demain: « Bientôt y aura plus à bouffer et vous êtes trop cons pour vous en apercevoir ». Le film aborde, entre autres, le travail pénible, stressant et insuffisamment rémunéré des agriculteurs.trices en France. Avec comme conséquence directe l’impact négatif sur la vie de famille. Virginie vit des crises à répétition avec sa fille et peine à joindre les deux bouts. Néanmoins, elle garde le cap et s’accroche du mieux qu’elle peut. 

Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, elle constate assez vite que son élevage traîne la patte, les insectes perdant en robustesse. Par le fruit du hasard, Virginie remarque que les sauterelles s’enhardissent et prolifèrent après avoir goûté au sang humain ou animal. Dès lors, le glissement (raisonnable) vers le genre fantastique s’opère: la productivité augmente de façon exponentiel à l’aide de stratagèmes que le.la spectateur.trice se fera une joie de découvrir.  Une aubaine qui, malheureusement, tournera à l’obsession macabre, puis mortifère. Jusqu’au dénouement implacable, suivi d’un final particulièrement sobre et bienvenu.

La menace comme outil

Comme dans beaucoup de films d’horreur, le menace (ici les sauterelles) cristallise une peur, un malaise ou grossit le trait d’un phénomène de société. Elle possède une fonction figurative. Selon le talent du ou de la réalisateur.trice, le procédé sera plus ou moins bien amené et plus ou moins subtile. On pense aux morts-vivants de George A. Romero qui renvoient à la société de consommation débilitante. Ou au mal absolu incarné par le personnage de Michael Myers dans le premier « Halloween » de John Carpenter. « La Nuée » suit les traces de ces monuments cinématographiques avec une écriture aboutie pour amener, à sa manière, une glaçante allégorie du monde du travail. N’en jetez plus! Courez ou même volez le voir.