Écrin alpin

Derrière ses façades de verre et de lumière, Noda dévoile un intérieur pensé comme une scène vivante : volumes aérés, matières nobles et détails contemporains qui dialoguent avec l’art de recevoir (c) DR

Une petite révolution culturelle en Valais : Sion a inauguré sa première salle musicale, NODA, au cœur de la vallée du Rhône, sur une ancienne parcelle industrielle, désormais appelée Cour de Gare. Dans cet écrin symphonique signé Bonnard Woeffray, le duo Giada Marsadri et Jean-Pierre Pralong signe une première saison exceptionnelle, où talents locaux reconnus et internationaux se partagent l’affiche. Visite, écoute et entretien.

Une shoebox suspendue
En Suisse, les villes regorgent de salles musicales, du Stadtcasino à Bâle à celle des concerts à la Chaux-de-Fonds en passant par la Tonhalle de Zurich et le Victoria Hall, à Genève. Tiré du latin signifiant nœud, NODA se veut une liaison entre tradition et innovation, entre plaine et montagne. Dessiné par Bonnard Woeffray architectes, le bâtiment est d’abord la pièce d’un projet urbanistique, le nouveau quartier, Cour de Gare. L’équipement est pensé comme « une nouvelle urbanité, pensée comme un morceau de ville, avec ses rues et ses places animées » selon les mots des architectes.

L’entrée passée, les espaces publics en béton ciré, coiffés de plafond en miroir, en double-hauteur, sont généreux. A cette première impression minérale succède une atmosphère chaleureuse, dans la salle de concert, aux coloris dorés du laiton et teintes noires du bois lasuré. Ici, point de vignoble, mais un parallélépipède, une Shoebox. Un concept moderne ?Pas vraiment, puisqu’on le retrouve notamment dans la Goldene Saal de la Musikverein à Vienne. L’innovation, c’est la salle dans une boîte, une structure à double-peau afin d’éviter les vibrations des trains passant juste à côté. A l’image du 2M2C à Montreux et du l’élégant KKL de Lucerne, l’élégante salle de 550 places sert également pour des congrès. Un regret, le nom NODA BCVS, ou quand le sponsor finit par prendre une place qui n’est pas la sienne, dans une stratégie de « naming » autocentré.

Avec son béton ciré au sol, les miroirs au plafond, les larges baies et double-hauteur, le foyer est généreux (c) DR

La première saison donne le ton
L’Orchestre de la Suisse Romande et Janine Jansen à l’inauguration, Gabriela Montero, Bertrand de Billy, Alexandre Tharaud, Andras Schiff, le Mahler ChamberOrchestra, le Filarmonica della Scala, des artistes suisses de premier plan, comme Lorenzo Viotti, Emmanuel Pahud ouPhilippe Jordan… la première saison des 18 concerts donne le ton, et il est juste, ambitieux et donne envie.

Ce soir-là c’est le concerto pour piano n°5 de Beethoven qui résonne sous les doigts de Francesco Piemontesi, aux côtés du Mahler Chamber Orchestra dirigé par Gianandrea Noseda. Une partition magnifiquement maîtrisée par des musiciens qui aiment se regarder et s’écouter. La pulsion du maestro impulse la phalange, dont les bois sont une merveille de musicalité cantabile. Au clavier, le pianiste dévoile un jeu très précis, au cordeau, avec peu de pédale, ce qui laisse apprécier chaque note de la partition, dans clarté qui rappelle Glenn Gould(1957, Sony). Volontiers cabotin, il joue des équilibres mains gauche et droite tout en offrant un déploiement émotionnel de premier rang, comme chuchoté. La lecture est plus classique que romantique, et c’est très bien.

Gianandrea Noseda a dirigé le Mahler Chamber Orchestra, avec Francesco Piemontesi au piano (c) DR

Questions à Giada Marsadri, directrice artistique
Journaliste musicale passée à la RSI, formée au management culturel à Bâle, programmatrice au Lugano arte et cultura(LAC), Giada Marsadri a aussi travaillé aux prix musicaux de l’office fédéral de la culture à Berne. Avec Jean-Pierre Parlong, elle partage la direction de NODA. Entretien juste avant le concert, entre deux verres de bulles et trois coups de fil urgent, pour terminer d’accordage du piano.

Giada Marsadri, directrice artistique de NODA (c) DR

Ouvrir une telle salle en Valais, si attendue, c’est un défi ! Comment répond le public à ce stade ?
Il y avait beaucoup d’intérêt et de curiosité au moment d’inaugurer NODA il y a quelques semaines. Tout de suite après l’ouverture, nous avons participé au Sion Festival et accueilli la Schubertiade, et c’est une belle surprise de voir autant de gens présents !

Votre première saison affiche de grands noms comme les chefs Philippe Jordan, Gianandrea Noseda, la violoncelliste, Anastassia Kobekina, le pianiste Nelson Goerner, le flûtiste Emmanuel PahudComment avez-vous su convaincre ces nombreux artistes ?
Je ne vais pas vous mentir, certains artistes m’ont répondu« où est Sion » ? Grâce à Verbier, ceux-là ont pu faire le lien. Mais tous ont réalisé une chose : avec NODA d’un côté, le Conservatoire, la Haute école de musique et les festivals réunis en campus de l’autre, Sion se profile comme une capitale musicale, nous vivons un moment en or pour la musique. Et les artistes nous font confiance, c’est une chance !

Lugano, Bâle, Sion, Bernevous avez fréquenté la Suisse culturelle. Quelles sont les spécificités ici, en Valais ?
Je ne m’attendais pas à une telle richesse culturelle, une offre variée, à l’image du Palp festival, qui est tout à fait unique. Deux aspects m’ont attirée ici : la page blanche, à l’image du LAC ouvert en 2015. La Ville de Lugano avait changé grâce à cette salle. Je sens qu’il y a une même énergie ici. Par ailleurs, je sens ici une réelle bienveillance, une envie commune d’aller dans la même direction, population et autorités. Enfin, il y a cet esprit où l’on peut essayer, tester, ce qui est très fécond pour la création.

Quelle est l’identité artistique de NODA ?
Comme il n’y a pas d’orchestre professionnel permanent en Valais, qu’il existe déjà beaucoup de festivals consacrés à la musique de chambre, nous défendons l’ambition d’une saison philharmonique. J’ai voulu me concentrer sur ce répertoire, avec une douzaine de concerts, avec la volonté de compléter par de la musique de chambre, qui d’adresse peut-être à un public plus « niche ». Du côté des interprètes, je voulais aussi montrer que de jeunes artistes sont capables d’avoir déjà une belle carrière, à l’image de la violoncelliste AnastassiaKobekina, et qui nourrissent le désir de travailler sur un temps plus long, par exemple en résidence ou en proposant des masterclass.