Dans l’intimité du maître

©David Douglas Duncan, Picasso et céramique (oiseau), 1957, Villa La Californie, Cannes

C’est une rencontre entre deux monstres sacrés que nous propose de découvrir l’exposition « Picasso à travers l’objectif de David Douglas Duncan ». D’un côté de l’objectif, le peintre, bien plus qu’emblématique, légendaire, et de l’autre le photographe, influence majeure du siècle passé. L’exposition organisée par Claude Picasso, et James Koch, associé chez Hauser & Wirth, rassemble une sélection des nombreuses photographies du peintre réalisées par le célèbre photojournaliste, nous permettant d’entrer un peu plus dans le monde de l’artiste, et de le découvrir dans son intimité, d’assister à travers les tirages à la création de peintures devenues emblématiques. C’est dans sa maison cannoise, son repère, le lieu de sa vie et de son oeuvre, que Picasso laissa pénétrer David Douglas Duncan, lui laissant carte-blanche, ce qui aboutira à une collection de clichés aussi étonnante qu’émouvante : les images d’une légende de l’Histoire de l’Art, la vie du peintre, et de l’homme, Pablo Picasso.

Un artiste se laisse souvent connaitre uniquement à travers son oeuvre. Ce sont ses toiles, ses sculptures, qui dévoilent l’homme derrière le créateur. Tant de figures légendaires de l’Histoire de l’art restent un mystère, leur vie résumée à leur Oeuvre. Pablo Picasso est une exception. Personnage public de son temps, son visage est bien connu, mais c’est une dimension bien plus intime et personnelle qu’il nous est aujourd’hui permis de découvrir au Vieux Chalet. L’histoire commence en 1956, quand un célèbre globetrotteur, appareil photo en main, frappe à la porte de La Californie, demeure cannoise de Pablo Picasso. Il s’agit du photographe de guerre américain David Douglas Duncan, que sa vie de nomade mena dans le Sud de la France. L’épouse de Picasso le laisse entrer et le conduit auprès du peintre, alors dans son bain, qui autorise le photographe à l’immortaliser. Ainsi commence alors une longue amitié, qui se retrouve aujourd’hui figée dans le temps par quelques 25 000 clichés et huit livres, dont des fragments sont cet hiver présentés à Gstaad. Sur ces photos, le peintre ne pose jamais. En réalité, c’est tout l’inverse. La recherche des deux artistes n’est pas celle de la photographie parfaite, planifiée, mais plutôt une volonté de naturel, et de vérité. Picasso, dans son atelier, peint, dessine, sculpte, alors que Duncan l’immortalise, presque à la dérobée, sans déranger l’action qui doit être capturée.  Le photographe le dit lui-même, « Il ne m’a jamais demandé de prendre une photo », Picasso lui avait donné une seule consigne : « Vous prenez des photos, je peins. » Cette simple règle allait alors mener à une exceptionnelle documentation de son travail. Les photographies, contemporaines à la réalisation d’oeuvres aujourd’hui majeures, mais aussi de cycles de première importance dans la carrière du peintre, emmènent le spectateur dans un passé secret, dans un monde où l’artiste ne laissait pénétrer que quelques privilégiés.

©David Douglas Duncan, Picasso et Jacqueline dans le salon de La Californie, 1957, Villa La Californie, Cannes

Parmi les clichés exposés, nous retrouvons la présence d’un motif capital dans l’œuvre de Picasso, la corrida, dont les représentations se retrouvent sur de nombreuses photos. Les céramiques qu’il modelaient sont également omniprésentes, et certaines d’entre elles sont exposées au milieu des images, illustrant un esprit débordant de créativité, sans cesse en recherche d’expérimentation. Enfin, deux tableaux du peintre sont accrochés, tous deux représentant des portraits de son épouse, nous ramenant encore une fois au caractère très intime de cette exposition, où les photos de l’acte créatif côtoient celle d’un quotidien partagé avec sa femme, Jacqueline. Une exposition qui entrouvre les portes de ce que Duncan appelait alors le « paradis interdit du peintre ».

« Picasso à travers l’objectif de David Douglas Duncan », du 3 au 28 février 2020, Hauser & Wirth, Le Vieux Chalet, Oberbortstrasse 24, Gstaad 2780, hauserwirth.com