Christo remballe!

Île, lac, vallée, monument ou encore palais, Christo avait l’art d’emballer son monde. L’artiste plasticien s’est éteint à l’âge de 84 ans dans son domicile new-yorkais le 31 mai dernier. Entre bâchages, empaquetages, empilages et montages, il laisse une trace indélébile sur le patrimoine mondial, malgré le caractère éphémère de ses œuvres qu’il faut compter en kilomètres et en décennies. Un demi-siècle qu’avec son double artistique et sa complice éternelle Jeanne-Claude (partie en 2009), ils habillaient la planète de toiles arc-en-ciel. A lui les dessins et la conception. A elle l’organisation des oeuvres monumentales. Duo visionnaire guidé par une constante envie de créer et un amour inconditionnel de l’art, le binôme inséparable ne laissait jamais personne indifférent. Notre cover leur est dédiée. Hommage.

Happenings monumentaux  

L’artiste-plasticien américain d’origine bulgare Christo Vladimiroff Javacheff s’est éteint à l’âge de 84 ans le 31 mai dernier. Célèbre pour ses giga installations de monuments connus qu’il imaginait avec son épouse française Jeanne-Claude, il investissait l’espace public de manière éphémère avec des projets extraordinaires. Elle était la tête pensante, Il était le créateur. Leur premier édifice est emballé en 1968 à la Kunsthalle de Berne. Le musée d’Art fête alors ses 50 ans. Il faudra six jours et onze ouvriers pour draper de polyéthylène 2430 mètres carrés l’imposant bâtiment! Suivront ensuite les extraordinaires Surrounded Islands à Miami, onze îles entourées de rose magenta étincelant, nénuphar géant sur la baie de Biscayne. Plus de 600 000 mètres carrés de tissu rose flottant visibles du ciel, de la mer et de la côte! Un paysage inédit et coloré spectaculaire! Parmi less travaux les plus reconnus, on notera Valley Curtain en 1970, avec un rideau de safran colmatant une vallée entière dans le Colorado, Running Fence évoquant la Muraille de Chine en 1976 à San Francisco, l’emballage du Reichstag de Berlin en 1995 ou encore les 7500 portiques de The Gates à Central Park à New York en 2004!

Christo and Jeanne-Claude. Surrounded Islands, Biscayne Bay, Greater Miami, Floride, 1980-83 ©Wolfgang Volz

Christo et Jeanne-Claude dans leur studio avec les croquis du projet Surrounded Islands, New York City, 1981

Révéler en cachant 

Chaque objet, chaque bâtisse ou nature une fois enveloppé, devenait autre. Les emballages  de Christo et Jeanne-Claude révélaient dès lors l’essence même de l’objet. Lorsque que le Reichstag  a été totalement recouvert de tissu en 1995, il était impossible de voir les petites sculptures, les colonnes, les arcades, les moulures et les détails. Il ne restait plus que la forme architecturale épurée d’un monument imposant – son essence même. L’emballage transforme aussi notre rapport à l’élément empaqueté et permet d’ouvrir les yeux sur ce qui se trouve d’ordinaire juste sous nos yeux. Cela permet un regard nouveau. Christo et Jeanne-Claude aimaient à souligner que leurs oeuvres n’avaient cependant qu’un unique objectif : apporter beauté et joie. Pour cette beauté du geste, le duo se mettra parfois en péril financièrement. Enfant, en Bulgarie, les frères de Christo le surnommaient « Don Quichotte ». En effet un Don Quichotte des arts, car nombreux des projets avec sa femme – toujours auto-financés – seront presque impossibles à réaliser, presque suicidaires économiquement, aux conditions matérielles folles, et nécessitant pour leur aboutissement de déployer une énergie hors norme.

Le Reichstag emballé, Berlin, 1971-95
© Wolfgang Volz

Artistes environnementaux

Christo et Jeanne-Claude n’assimilaient pas leurs créations à du Land Art ou à de l’art conceptuel. Ils aimaient plutôt se décrire comme des architectes environnementaux. Ils étaient probablement les artistes les plus propres au monde, retirant la totalité de leurs oeuvres une fois leur courte période d’exposition passée et restaurant le site à son état originel. La plupart des matériaux utilisés étaient recyclés, comme la toile, médium principal de leurs immenses installations. A souligner que dans le cas de Surrounded Islands, le site n’a heureusement pas été restauré dans son état d’origine, puisqu’avant le projet, 40 tonnes de déchets ont été retirées des îles et n’ont pas été remises en place par la suite!

Croquis du projet de l’Arc de Triomphe

L’Arc de Triomphe 2021

A Paris, ville de leur rencontre, Christo et Jeanne-Claude avait imaginé draper d’abord l’Arc de triomphe et ce depuis les années 1960. S’armant de patience, ils commenceront en 1985 par recouvrir le Pont Neuf d’un soyeux tissu doré. Après une décennie de négociation et de travaux préparatoires, l’empaquetage du monument est intégral et génial! Les voûtes, les bordures, les parapets, les trottoirs et les lampadaires du pont sont totalement recouverts de textile de polyamide tissé retenu par plus de 10 kilomètres de cordes. Ainsi retenu à la surface, le tissu accentue les détails du relief et souligne les proportions. Véritable prouesse technique, l’installation dévoile la dimension symbolique du monument tout en le dissimulant. 36 ans plus tard en 2021, leur rêve d’emballer l’Arc de triomphe devrait devenir réalité L’accord pour cette installation avait été accordée sans difficulté avant la disparition de Christo qui ne verra pas son voeu enfin exaucé. Mesures sanitaires imposées par le Covid-19 obligent, les dates d’empaquetage ont été repoussées d’une année pendant le confinement. L’œuvre, entièrement autofinancée par l’artiste grâce à la vente de dessins, lithographies, maquettes et autre collages sera réalisée en collaboration avec le Centre des monuments nationaux et le Centre Pompidou. Elle nécessitera  25 000 mètres carrés de tissu argent bleuté recyclables  et 7 000 mètres de corde rouge et sera visible pendant deux semaines, dès le 18 septembre et ce jusqu’au 3 octobre 2021. Un dernier projet pharamineux à ne pas manquer ! 

Le Pont Neuf emballé, Paris, 1975-85
© Wolfgang Volz