Choc culturel

Le Musée d’Art et d’Histoire de Genève nous annonce déjà de belles surprises pour cette rentrée tant attendue qui commence sur les chapeaux de roues, dans une exposition à la croisée des genres. « Marcher sur l’eau » bouscule les codes et invite l’artiste Jakob Lena Knebl à investir les nombreux espaces du musée pour les réinventer à sa façon. Artiste indéfinissable qui se plaît à brouiller les pistes entre les genres et les médiums, accolant à la grande histoire de l’Art la culture populaire, le design, ou encore la mode, elle vient perturber notre perception du monde, et notre définition de l’art. Marcher sur l’eau se veut alors comme une expérience. Un essai à une chose nouvelle à laquelle les visiteurs sont conviés, puis déstabilisés, et enfin invités à porter un regard nouveau sur un objet, oubliant son contexte, et brouillant les pistes d’une hiérarchie parfois intimidante. Alors objet décoratif ou œuvre d’art ? Pour en faire l’expérience, il ne vous reste qu’une chose à faire : vos premiers pas sur l’eau.

 

Perturbations culturelles 

C’est un titre qui nous intrigue, et nous entraîne dans un voyage culturel qui brûle les étapes, et passe sans compromis de Konrad Witz à Deep Purple. D’un côté, le volet latéral du retable de Witz qui représente le Christ marchant sur l’eau dans la rade de Genève, de l’autre Smoke on the Water, titre de la chanson de Deep Purple inspiré par l’incendie du Casino de Montreux en 1971. Le seul lien qui semble unir ces deux œuvres est la Suisse. Au-delà, personne n’oserait juxtaposer un chef-d’œuvre religieux à de la musique rock. Personne, sauf peut-être Jakob Lena Knebl. L’artiste connue pour son refus de la classification hiérarchique des arts et de ses dérivés à l’image du design, investit le Musée d’Art et d’Histoire pour secouer un peu ses collections, et par la même occasion, ses visiteurs. Après l’avoir vue intervenir au Mumok de Vienne puis au Lentos Museum de Linz, Genève se prête à l’exercice tout en en changeant les règles. En effet, la grande variété de sa collection permet à l’artiste de sélectionner des tableaux, mais aussi des pièces horlogères, joaillières, des artefacts archéologiques, ou encore du mobilier. Ce large catalogue aboutit à l’investissement d’un grand nombre des salles du parcours permanent du musée et à une expérience unique en son genre qui brouille les pistes de la culture et nous entraîne dans un délicieux cafouillage, nous forçant à regarder à deux fois. L’objectif d’un tel projet ? Forcer le visiteur à redécouvrir les pièces du musée, mais par-dessus tout à se débarrasser de ses préjugés et appréhensions, et simplement se laisser aller à regarder d’un œil nouveau l’objet avec un grand O. Canapé, montre, sculpture classique, toile de maître, peu importe sa nature. Ici la hiérarchie se casse la figure et nous demande simplement de nous laisser surprendre par sa malléabilité.

Un ancien parcours sous un nouveau regard

Nous nous laissons alors aller à la surprise, ou dans les termes de Jakob Lena Knebl, à marcher sur l’eau. Dès notre entrée dans la première salle, la salle AMAM, le choc culturel se fait ressentir. Nous sommes invités à devenir acteur du musée, à nous installer dans ce canapé à mémoire de formes, de nous y lover, sous le regard de l’impressionnante Grande Océanide d’Henri Laurens qui nous observe alors que nous doutons malgré nous de notre légitimité dans ce canapé. Dans la même salle, trois sculptures s’adonnent à leur toilette dans des cabines de douches, décorées d’œuvres elles aussi liées aux bains. La Vénus de Canova et Le Lesteur d’Henri Desmond prennent alors une allure bien plus familière dans cet espace, nous transportant bien loin du musée. La visite vient de commencer, nous nous prêtons à l’expérience, et nous avons déjà perdu tous nos repères. Et ça y est, nous marchons sur l’eau.

 

Marcher sur l’eau
Jusqu’au 27 juin 2021, exposition commissionnée par l’artiste plasticienne Jakob Lena Knebl, Musée d’Art et d’Histoire de Genève, 2 Rue Charles-Galland, 1206 Genève
http://institutions.ville-geneve.ch/fr/mah/