Ceux qui l’aiment prendront le train

Michael Sanderling aux commandes de l’orchestre pour la Symphonie 1 de Mahler.

© Luzerner Sinfonieorchester/Philipp Schmidli

Pourquoi diable faire 6 heures de train pour 1h30 de concert ? On peut se poser la question, mais la réponse est toute trouvée pour l’ouverture de la saison du Luzerner Sinfonieorchester au KKL : pour vivre un moment musical inoubliable. Destination émotion.

16 octobre dernier, la phalange lucernoise débutait sa saison, avec son chef attitré Michael Sanderling au prestigieux Centre de culture et de congrès (KKL), après les mots chaleureux de l’Intendant Numa Bischof Ullmann : une soirée intense où la star a été l’orchestre.

Après une première partie plutôt timide, la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov n’a pas rendu justice au talent dAnna Vinnitskaya. Premier Prix du Concours Reine Elisabeth (2007), la pianiste qui préfère l’excellence à l’esbroufe virtuose n’a pu se déployer, la partition se caractérisant par une série de variations somme toute assez linéaire, excepté le 18ème tableau. Dommage pour cette œuvre composée non loin de là, au bord du lac des Quatre-Cantons.

Luzerner Sinfonieorchester a ouvert sa saison au KKL © Luzerner Sinfonieorchester/Philipp Schmidli

Mahler monumental
Le contraste avec la Symphonie n°1 de Mahler est tellement saisissant. La partition riche, polychrome, s’étend sur un large spectre du pianissimo avec solo au fortissimo en tutti. Ce soir donc, la star, c’était l’orchestre de Lucerne. Dès le premier mouvement à l’évocation pastorale, des bois se font cantabile et les cordes murmurent avec une intensité contenue par le maestro Michael Sanderling, fils du célèbre Kurt. On sent ici l’expérience du marathonien qui ménage ses ressources avant de laisser le crescendo se révéler. « Solennel et mesuré », le troisième mouvement met en avant instruments et mélodies aux accents Klezmer (la clarinette de Stojan Krkuleski et le solo violon de Gregory Ahss), peut-être une façon pour le compositeur d’origine juive de répondre aux relents antisémites de son époque.

Final étincelant
Au quatrième mouvement, les cuivres insolents ont été étincelants, dévorant l’espace sonore, portés par des percussions rugissantes ! Et la salle du KKL joue ici pleinement son rôle, déployant son et vibrations à travers tout le public. On ne remerciera jamais assez l’acousticien américain Russel Johnson qui a fait du bâtiment signé Jean Nouvel une merveille pour les oreilles. Et l’on comprend aussi la love story entre la salle et le répertoire de Mahler, qui a fait les grandes heures du Festival de Lucerne sous les années Abbado. Ce soir-là, toute la salle est emplie des émotions de la partition, dans un crescendo qui n’a semblé connaître aucune limite : cuivres, cordes, percussions à l’unisson. Vous avez dit « Stürmisch bewegt ? »

On dit souvent de Mahler qu’il aimait le ton aigre doux, l’ironie et le grotesque, peut-être comme une manière de se moquer de la mort qui le hantait tant. On ne peut pourtant ignorer la dimension ample, optimiste, puissante, réconciliatrice –et peut-être éternelle– de son final. Une soirée comme un aller simple vers l’éternité.