Anselm, hymne à Kiefer
Après Pina (2011), consacré à la chorégraphe Pina Bausch et Le Sel et la terre (2015), César du meilleur documentaire, le réalisateur chevronné Wim Wenders est de retour avec Anselm, le bruit du temps dédié au légendaire plasticien Anselm Kiefer. Le lauréat 2023 du Festival Lumière à Lyon a passé deux ans sur ce documentaire à la fois riche en idées et époustouflant dans l’exécution technique et constituant une rétrospective unique et captivante de la vie et de l’œuvre de l’artiste allemand.
Plongée abyssale dans l’univers monumental d’un artiste hors norme.
Du Buena Vista Social Club à Pina Bausch en passant par le pape François, la palette de sujets documentaires de Wenders a toujours suggéré un esprit vif et curieux. Avec son nouveau film Anselm, cette soif de mise en lumière de l’artiste n’a jamais été aussi essentielle qu’ici. Plus un portrait de l’œuvre de Kiefer qu’une biographie standard de lui-même, cette dernière production se dévoile telle une étude très particulière de l’âme d’un homme singulier, racontée à travers des images de son œuvre, augmentées par une utilisation sensationnelle d’archives rendues en 3D. On y trouve aucun entretiens fastidieux avec des sommités du monde de l’art ou d’anciens professeurs prétendant avoir pressenti son génie, et c’est une absence bénie.
Le travail de caméra 3D – 6K de Franz Lustig est impressionnant pour transmettre les textures, la matérialité abrasive et l’ampleur des créations souvent monumentales de Kiefer – y compris l’espace immense et étrange qu’il a créé à Barjac, comprenant des tunnels, des galeries caverneuses et des pans entiers de paysage. Structurellement, le réalisateur a organisé son film telle une série d’explorations des préoccupations artistiques de Kiefer au cours de périodes passées dans différents studios. Avec une légèreté lyrique, le changement saisonnier marque également le passage du temps, évoquant un sens temporel plus cyclique que linéaire. Le temps est ici la quatrième dimension : alors que les visuels 3D attirent immédiatement notre attention, Anselm est un film profondément préoccupé par la chronologie et la mémoire. Il est émouvant de retrouver les tournesols vus au début du film dans un champ d’hiver gelé, cette fois baignés de lumière dorée alors qu’une version plus jeune de Kiefer (joué par Anton Wenders) se fraye un chemin à travers eux. L’effet est intime, comme si nous pénétrions dans les souvenirs centraux de quelqu’un d’autre. Tout le passé se chevauche, parfois littéralement, alors que Wenders superpose brillamment les images suggérant simultanément ce qui est à la fois vu et pensé.
Le film souligne à merveille la dette de Kiefer envers trois grands écrivains allemands modernes : le philosophe Martin Heidegger et les poètes Paul Celan et Ingeborg Bachmann. On apprend comment l’invocation par Kiefer du passé de l’Allemagne l’a conduit à devenir une figure de division dans son pays, soupçonné d’être un néo-nazi, alors que les critiques à l’étranger célébraient sa confrontation aux tabous historiques. Dans l’ensemble, la fascination de Kiefer pour la pensée mythologique et théologique, ainsi que son attachement aux idées et aux images du romantisme allemand du XIXe siècle, en font clairement une âme sœur avec Wenders lui-même. Anselm reste un hommage éloquent à l’œuvre de Kiefer. Un film incontournable pour les amateurs d’art et tous ceux qui souhaitent explorer les complexités du passé de l’Allemagne.