Anima Mundi : quatre âmes pour un monde

La Galerie 38 ouvre ses portes avec une première exposition intitulée : Anima Mundi ©DR

Il y a des ouvertures qui sonnent comme des révélations. Celle de La Galerie 38 à Genève en fait partie. Après Casablanca et Marrakech, cet écrin créatif poursuit son odyssée artistique en s’installant dans le quartier des Bains, là où les galeries se frottent aux grandes institutions à l’image du MAMCO ou du Centre d’Art Contemporain. Pour inaugurer cet espace, un manifeste visuel : Anima Mundi. Quatre artistes, quatre voix puissantes du continent africain, qui chantent à l’unisson une mélodie complexe et spirituelle, entre visible et invisible.

Anima Mundi. L’âme du monde. Ce souffle ancien, cosmique, qui relie tout ce qui vit et palpite. Le titre claque comme une évidence mystique et murmure une intention : inviter le public à regarder autrement, à ressentir plus loin. Ici, rien n’est décoratif. Tout est traversé, tout est traversant.

Abdoulaye Konaté, la fibre du sacré
Maître des textiles et de la symbolique chromatique, Abdoulaye Konaté déploie ses tentures comme on étend une prière. Teintes profondes, motifs venus du Maghreb, du Sahel, d’Arabie : les étoffes deviennent cartes d’un monde réenchanté. Ses œuvres imposent le silence, comme dans une cathédrale païenne où chaque pli est un verset. Il plie, il déplie, il recoud les mémoires. Il explore cette frontière que Gilles Deleuze appelait “le pli de l’âme”. Konaté ne fait pas que tisser des fils, il tricote du temps.

Abdoulaye Konaté, Motif du Sahel / soleil, sur fond vert émeraude (2025) ©DR

Barthélémy Toguo, le souffle des esprits
Chez Toguo, la nature est animée, les animaux regardent, et l’herbe semble entendre. Le peintre-performeur convoque les forces de l’invisible, dans un vodoun raffiné soufflé à l’encre de Chine. Un léopard sur l’herbe n’est jamais seulement un léopard. C’est une créature totémique, surgie d’un rêve ancien. Le trait est vif, l’intention claire : réconcilier le monde tangible et l’universel, dire l’Afrique plurielle dans son rapport au vivant, à l’eau, aux migrations, aux urgences.

Barthélémy Togo, Léopard sur l’herbe (2025) ©DR

Soly Cissé, l’instinct du fragment
Tout est fusion chez Soly Cissé. Le clown, le poulain, l’homme jaune : autant d’avatars d’un monde où les frontières entre l’humain, l’animal et l’imaginaire se brouillent. Dakar est là, en filigrane, dans ce dialogue entre traditions et visions. Collages, huiles, pastels : le geste est libre, presque primitif. Et pourtant maîtrisé. Soly Cissé peint comme on déchire un voile, avec l’obsession d’un monde en mutation. Chaque tableau est un laboratoire de possibles.

Soly Cissé, Homme jaune (2025) ©DR

Younes Khourassani, la lumière en prière
Côté Khourassani, c’est la lumière qui mène la danse. L’artiste marocain explore l’abstraction géométrique avec la ferveur d’un moine soufi. Ses compositions sur aluminium brillent, hypnotisent, élèvent. Héritier d’un art islamique aniconique, il sculpte l’espace par la répétition, le rythme, l’épure. Depuis la crise sanitaire, ses œuvres ont gagné en clarté, en verticalité. Elles ne cherchent plus à panser, mais à guérir. À rendre la lumière visible, presque tangible.

Younes Khourassani, Rêve bleu (2024) ©R

Un pas-de-deux vers l’universel
L’exposition évite l’écueil du patchwork. Elle pense en chorégraphie. Quatre artistes, oui, mais une même pulsation. Un même souffle. Celui de l’Anima Mundi. Celui de cette âme du monde que leurs œuvres convoquent, sans jamais la figer. Une âme qui vibre au rythme des formes, des matières, des mémoires.

Ce n’est pas une simple exposition. C’est un rituel collectif, une offrande. Une invitation à ralentir, à voir au-delà de l’apparence. À allumer cette “lampe intérieure” dont parle René Fazio dans le texte du catalogue. Car ici, l’art n’est pas un objet. Il est un passage. Un entre-deux. Une lumière qui nous regarde.

Anima Mundi, jusqu’au 30 août 2025
La Galerie 38
Rue des bains 24, 1205 Genève
www.lagalerie38.com