Afrosonica : à pleine oreille

Garè, grelots, Soudan, Otalo
Anyuak. 20e siècle
Donnés au MEG en 1979 ; collectés par l’ethnologue Conradin Perner en 1978
© MEG, J. Watts
Au MEG, l’Afrique ne se contemple pas. Elle se traverse, elle se vibre, elle se vit. Bienvenue dans Afrosonica, là où le son devient langue, onde, mémoire et acte politique. C’est un souffle qui court dans les galeries du MEG, un frisson qui ne vient ni du froid ni du silence, mais du battement profond d’un continent qui ne se laisse pas réduire à l’image. Avec Afrosonica – Paysages sonores, du 16 mai 2025 au 4 janvier 2026, le musée d’ethnographie de Genève transforme son espace en une immense oreille. Une oreille tendue vers les sons du continent africain et de ses diasporas, de leurs échos anciens à leurs mutations électroniques, de leurs rituels sacrés à leurs beats urbains. Ici, l’œil se tait, l’oreille pense.
Afrosonica, c’est un mot-valise inventé comme on crée un monde : « Afro » pour les racines, les luttes, les spiritualités ; « sonica » pour les ondes, la techno, la vibration. Un mot pour dire la multiplicité, pour accueillir les voix qui ont souvent été tues, archivées sans être entendues, écoutées sans être comprises. Ici, le son n’est pas ambiance : il est agent. Il fait bouger, penser, sentir, guérir, résister.
Une exposition polyphonique, une immersion sensorielle
Ce n’est pas une expo, c’est une traversée. Organisée autour de cinq grands mouvements — musique de l’intime, connexions espace-temps, l’appel des ancêtres, vibrer dans un paysage sonore et Imbizo — Afrosonica nous convie à déplacer notre regard pour écouter autrement. Lamellophones, harpes, tambours et rhombes ne sont pas figés dans des vitrines : ils reprennent vie. On entend le souffle des griots, la pulsation des rituels vodoun, la ferveur des femmes du debaa, les archives d’un chant initiatique béninois enregistré en 1969… et réactivé en 2023. Les objets sortent du silence muséal. Ils deviennent des corps sonores. Des porteurs de mémoire. Afrosonica déconstruit les dichotomies : oralité/écriture, sacré/populaire, Afrique/Occident. Elle honore les rythmes oubliés, réanime les voix étouffées, et embrasse les bruits du monde comme une langue-mère.

Les musiciens Etienne Ngbozo (lamellophone sanzi) et Arone Singa (hochets soko), République centrafricaine, pays Gbaya, Ndongué Photographie de Vincent Dehoux (1977)
Rituels, résistances et réinventions
L’exposition s’ouvre comme une partition vibrante, où l’on entend autant les instruments que leurs silences passés, leurs stigmates de colonisation, leurs cicatrices de vitrine. Le son y est rituel, bien sûr, mais aussi politique. Il a survécu aux traversées, aux censures, aux archives poussiéreuses. Il circule, se transforme, revient. Il dit les exils, les résistances, les sororités sonores et les dialogues impossibles. Il pose cette question : que peut un monde qui écoute, vraiment ?
Ainsi, Afrosonica déconstruit les hiérarchies entre tradition et modernité. Ici, les danses masquées dialoguent avec le spoken word, les lithophones préhistoriques croisent les nappes électroniques de Midori Takada qui fait dialoguer des hochets anciens avec un synthé contemporain : un hommage sensible au vivant et au réenchantement. Tarek Atoui, artiste libanais, compose des installations immersives où le son devient matière physique. Sonia Boyce, pionnière britannique, réinvente les archives vocales noires par la performance. Mo Laudi, co-commissaire de l’expo, croise les beats des townships et la philosophie panafricaine dans une esthétique globale. DJ Lynnée Denise, DJ-chercheuse, active la mémoire diasporique à coups de mix narratif. KMRU, figure de la scène ambient kenyane, invite à une écoute lente du monde. Elsa M’Bala, Camerounaise et sorcière numérique, transforme la voix en rituel connecté. Tous ses créateurs venant d’Afrique, de ses diasporas et d’ailleurs composent, décomposent, samplent, invoquent. Ils parlent à l’oreille, au cœur et parfois à l’invisible. Ils travaillent la mémoire comme on mixe un morceau : en couches, en textures, en émotions. Chacun apporte sa vibration, son héritage, son futur. Ils rendent au son sa densité politique, son pouvoir chamanique, sa force de lien.

Midori Takada durant l’enregistrement de la création sonore Mémoire d’arbres, avec le xylophone sénoufo des collections du MEG, Genève, Hush Sound Studio. 11 mars 2024 / Photographie de Chiara Cosenza
Imbizo : faire corps, faire lien
À la fin du parcours, le visiteur est invité dans l’espace Imbizo, lieu inspiré d’un rituel zoulou collectif et réinterprété ici comme laboratoire d’hospitalité radicale. On y débat, on y écoute, on y désapprend. C’est un espace politique où les sons sont traités comme des forces vives, non comme des curiosités ethnographiques. Ce n’est plus un musée. C’est une agora sonore. Une chambre d’écho où les récits s’entrelacent, où les voix ancestrales rencontrent les artistes, poètes, DJs, chercheurs, passeurs de sons d’aujourd’hui pour composer une autre mémoire. Une mémoire vibrante, vivante, et profondément actuelle.

Miriam Makeba, Photographie de Philippe Gras. 1969
Afrosonica – Paysages sonores
Du 16 mai 2025 au 4 janvier 2026
MEG – Musée d’ethnographie de Genève
Bd Carl-Vogt 67, 1205 Genève
Tél: 022 418 45 50
Entrée : 12 CHF (réduit : 8 CHF) – Gratuit pour les -25 ans et les premiers dimanches du mois
www.meg.ch
