Garde aux vins suisses !

– Tu bois Suisse?

– Oui, uniquement. Mes Bordeaux je les garde en cave quelques années, je les revends et je me rachète du Suisse que je bois direct et ainsi de suite.

 

Et oui! Lorsqu’il s’agit de se constituer une cave de garde, peu patriotes que nous sommes, nous lorgnons encore principalement vers Bordeaux, la Bourgogne, la Toscane ou pour certains aventureux, le Piémont. Est-ce parce que le terroir suisse ne peut faire naître de grands vins de garde ou parce que le mythe de nos éminents voisins viticoles nous hante? Nous sommes allés vérifier cela (pour vous bien sûr) à la journée de la Mémoire des Vins Suisses (MDVS), association regroupant la crème des vignerons suisses, qui a constitué un trésor d’anciens millésimes (chaque vigneron réserve chaque année 60 bouteilles de sa cuvée sélectionnée), dans le but de démontrer le potentiel de vieillissement des grands vins suisses.

 

Nos coups de coeurs de la MDVS

Dans une ambiance électrique à l’Hôtel de Ville de Sierre, nous avons donné de notre personne en goûtant 175 vins, allant de 2003 à 2016. Du très haut niveau pour les vins représentés et un potentiel de garde souvent exceptionnel. Voilà quelques coups de coeur, émotions qui n’engagent bien sûr que nous…

 

Valais

Domaine des Muses, Humagne Blanche Tradition 2012: cépage autochtone cultivé sur seulement 40ha, injustement méconnu! Quelle erreur: fleurs blanches virant au résineux, rondeur et longueur. Après 6 ans, le gras n’enlève rien à la délicatesse.

Maurice Zufferey, Petite Arvine Les Grand’Rayes 2010: une version explosive de ce cépage, dont l’équilibre tension/amplitude est maîtrisé à merveille! Ni trop sèche, ni trop suave.

Simon Maye, Syrah Vieille Vigne 2015: à n’en pas douter un des plus grands potentiel de garde des vins dégustés! L’expression pure de ce cépage complexe. Au vu de la fraîcheur du 2007, on se réjouit de goûter le 2015 dans 20 ans, sans oublier de le faire chaque année.

Denis Mercier, Ermitage flétrie sur souche 2003: quel vin! Très botrytisée, cette marsanne, aux arômes de champignons, de truffe, sirupeuse mais pas huileuse, n’a rien à envier à de grands Tokajs. Immortelle.

Marie-Thérèse Chappaz, Petite Arvine grain noble 2009: la grande dame des surmaturés valaisans étale toute sa classe sur ce cépage, dont l’acidité se prête parfaitement aux liquoreux. Il paresse infiniment sur notre palais…

Vaud

Château Maison Blanche, Yvorne Grand Cru 2010: un vin critallin, minéral, des parfums de pêche, de silex et une finale saline. La découverte d’un grand outsider!

Domaine Louis Bovard, Dézaley Grand Cru Médinette 2008: on ne présente plus le porte-drapeau du chasselas suisse. Après 10 années en bouteille, il commence seulement son évolution, vire vers le coing et la noix. Un must pour la grande garde!

Domaine Henri Cruchon, Raissennaz Grand Cru 2011: penser que les Vaudois ne savent pas faire du bon vin rouge, c’est penser mal. Voilà un pinot noir soyeux, tout en volupté.

Genève

Domaine les Hutins, Sauvignon Dardagny barrique 2008: 10 ans de bouteille et un magnifique mielleux sans perdre son cassis de départ; c’est gras, c’est beau, c’est malheureusement bu toujours trop tôt.

Bienne

Steiner Schernelz Village, Chardonnay Clos au Comte 2009: très belles notes oxydatives pour ce chardonnay gourmand et persistant dont on aurait peine à croire qu’il soit Suisse, encore moins Biennois!

Zurich

Weingut Pircher, Pinot Noir Stadtberg Eglisau: coup de cœur pour les trois millésimes dégustés, 2015, 2011, 2007. Un pinot noir toujours frais mais gourmand, à faire pâlir leurs voisins grisons.

Grisons

Weingut Hermann, Fläscher Completer 2012: cépage autochtone méconnu dans nos régions. L’équilibre entre acidité et mielleux est unique pour ce trésor grison.

Weingut Georg Fromm, Malanser Pinot Noir 2015, 2011 et 2007: trois millésimes réussis pour ce symbole d’élégance et de subtilité des Grisons. Une valeur sure.

Christian Hermann, Fläscher Chardonnay 2012: le bois, toujours présent, commence seulement à s’estomper pour laisser place aux subtils parfums du chardonnay grison.

Weinbau von Tscharner, Churer Blauburgunder Gian-Battista 2013, 2008 et 2003: quelle constance dans les trois millésimes et quelle fraîcheur pour le plus vieux vin présenté dans le cadre de la MDVS. Aucun signe de fatigue après 15 ans de bouteille!

Tessin

Tenuta Castello di Morcote, Pio della Rocca 2011: assemblage à 75% merlot et 25% cabernet sauvignon. Légèrement austère, avec un équilibre parfait entre fruit et tannins bien présents. Il remplacera avantageusement nombre de Bordeaux en cave.

Kopp von der Crone Visini, Balin 2006: très bel assemble à 95% de Merlot, aux notes épicées. Un grand du Tessin.

 

Et maintenant? Oublier.

Il faut boire pour le croire: lors de cette incroyable dégustation, les plus vieux millésimes présentés étaient presque systématiquement les plus harmonieux, les plus équilibrés et subtils. Alors tentons de suivre les pas de la MDVS en faisant honneur à nos vignerons préférés, car parfois seules les années permettent à un vin d’atteindre son équilibre et à la magie d’opérer. Au diable les conditions imparfaites de nos caves, gardons nos vins quelques années au moins! N’oublions pas pour autant d’en acheter suffisamment pour suivre leur évolution chaque année…