Mode et poésie au pays du soleil levant

Maiko Kurogouchi en pleine création de sa collection en collaboration avec ©Tod’s

La valeur du travail, le temps, l’attention, voici quelques unes des valeurs que porte en elle la marque éponyme de Mame Kurogouchi. Si vous ne connaissez pas son nom c’est parce qu’il n’est pas encore parfaitement établi en Europe, avec un premier défilé parisien à la fin de l’année 2018. Et pourtant, Maiko, celle que l’on surnomme Mame depuis son enfance en raison de sa petite taille – haricot en japonais – a déjà laissé son emprunte sur la mode. Deuxième plus grande marque de luxe japonaise, elle continue de grandir sans pour autant s’éloigner de son profond désir identitaire et des talents qu’offrent son pays. Un goût pour les matières nobles, un don pour des lignes féminines, intemporelles, mais aussi une histoire, une approche presque poétique de la création, et un profond respect des traditions et de l’artisanat local. Telle est l’identité de Mame Kurogouchi qui a su devenir en une dizaine d’années une véritable effigie de la mode japonaise. Portrait d’une créatrice aux mille et un rêves.

Une histoire de tradition et d’attention

Tout part d’une matière que nous avons presque fini par prendre pour acquise : la soie. C’est de ce matériau que partait la plupart des créations de Mame, une tradition qu’elle connaissait bien, un art cultivé par sa famille à l’époque de sa grand-mère, quand cette étoffe précieuse n’était pas encore acquise. Si Maiko Kurogouchi a fait ses armes en temps que créatrice au Bunka Fashion College de Tokyo, apprenant les dernières techniques de designs en vogue, les nouvelles matières, la mode plus conceptuelle et loin des aiguilles et des machines à coudre, la matière et sa maitrise ont toujours été au coeur de sa pensée. Chaque collection prend pour point de départ un élément de la culture japonaise. La matière est elle aussi au coeur de sa pensée, et pour la comprendre, il fallait la créer elle-même. C’est ainsi, alors qu’elle lance son label, que la jeune designer fait grandir dans son atelier 30 vers à soie. De ce projet, elle en tire une robe de soie transparente, ornée de broderies et d’imprimés de végétaux, une merveille de technicité et de délicatesse. Mais de cette aventure en ressort bien plus qu’une robe : une expérience qui lui apprend à elle et à son équipe le goût du travail bien fait et l’importance de deux valeurs qui depuis ne la quitteront plus : la tradition et l’attention. Passionnée par les savoir-faire de son pays natal, la jeune créatrice ne part pas à l’étranger pour se fournir en tissu ou réaliser ses pièces. Tout se passe au Japon, dans des ateliers parfois centenaires, où les gestes n’ont pas changé et sont restés les mêmes depuis la nuit des temps.

Elégance et féminité dans une collection inspirée de l’art de l’emballage et du pliage, une tradition japonaise ancestrale. ©Mame Kurogouchi

Cette tradition prend alors une place considérable dans ses créations. Maiko sélectionne à travers le pays des artisans aux techniques ancestrales, choisissant les meilleurs fabricants de tissus pour donner vie à ses croquis. Si elle apprend par sa propre expérience que le travail de la matière première est capital dans la mode actuelle qui retrouve ses valeurs premières, portant un regard accusateur sur le travail bâclé et de mauvaise qualité, elle réalise aussi rapidement que ses créations demandent une technicité toute particulière. Son amour pour la soie et les constructions textiles complexes nous rappelle qu’elle a fait ses armes chez Issey Miyake, comprenant très vite l’importance d’une exigence sans pareil durant le processus de création. Mais derrière cet amour du travail bien fait et une rigueur gage de réussite, se cache une rêveuse.

Les carnets d’une rêveuse

Au départ de toute création, de chaque vêtement qui sort de l’esprit de la jeune créatrice japonaise, se trouve une histoire. Qu’il s’agisse d’un souvenir d’enfance, de voyages, de rencontres, d’oeuvres d’art, ou encore de la nature et des traditions de son pays natal, c’est la vie qui inspire Maiko. Elle déclarait lors d’une interview il y a quelques mois, « Beaucoup d’éléments coexistent dans mes créations : l’amitié, qui est le sel de la vie, les voyages, les traditions, et l’art ». Sa collection Printemps-Eté 2019 s’inspirait des artistes japonais exposés à la Fondation Claude Monet, qu’elle découvre lors d’un de ses voyages. Un point de départ qui mène à une collection mêlant Orient et Occident dans des designs aux imprimés japonais sur des coupes résolument modernes. Ces idées qui virevoltent dans son esprit arrivent ensuite dans un de ses nombreux carnets qu’elle collectionne précieusement, tels des talismans, des journaux intimes parsemés de couleurs et de silhouettes. Son approche relativement poétique de la mode, avec ses étapes de créations dérivant toutes de ses expériences de vie, font de son label Mame une marque à l’identité forte. Dès sa plus tendre enfance, la jeune créatrice qui grandit dans les collines de la campagne japonaise, à Negano, se prend d’amour pour le dessin. Entourée d’une nature sauvage, mais aussi d’un monde où la tradition est conservée et valorisée, elle découvre les tenues traditionnelles de son pays, les kimonos, et la création artisanale d’objets. Cet environnement favorable la pousse à son tour à devenir une créatrice. Visionnaire tout en restant terre-à-terre dans ses collections, elle crée un trait d’union de toute beauté entre l’avenir de la mode japonaise et les traditions ancestrales qui sont aujourd’hui indispensables à son travail.

Un des carnets de la créatrice qui la suivent dans ses voyages et ses rencontres et où prennent vie ses futures créations. ©Mame Kurogouchi

Elégance, simplicité, féminité

Mais derrière cette approche très personnelle, c’est une mode unique et identifiable tout en étant durable que veut créer la jeune designer. Elle déclarait dans une interview à l’aube de son premier défilé parisien l’an dernier « Dans un monde où l’information est disponible immédiatement, je ressens le besoin de créer un vêtement qui sera aussi intemporel et spécial que possible. Dans notre monde moderne, où tant de vêtements vont et viennent, je prends mon rôle très au sérieux. ». Cette fast fashion qui nous entoure semble aller à l’encontre de cette rêveuse aux mille carnets fascinée par l’artisanat et ses valeurs. Si son succès réside en partie dans son approche, Mame est surtout parvenue à conquérir la scène du prêt-à-porter au Japon, et maintenant en Europe, en proposant des vêtements au tombé universel et aux coupes intemporelles. Une élégance indéniable se dégage de ses collections, à l’apparence simple derrière cette complexité qui réside dans une recherche technique importante. Mais c’est surtout une ode à la féminité et à la délicatesse qui nous rappelle qu’il est encore possible de rêver.