Le Prince de Pigalle

Parfois on est assis trop près de l’étiquette pour pouvoir la lire, parfois on est trop dans le présent pour pouvoir percevoir le passé du point de vue du futur. Pigalle, le groupe de François Hadji-Lazaro, fait partie de ces légendes vivantes qui pourraient bien être élevés au rang des plus grands du patrimoine culturel populaire français (au sens de prolétaire – ici sans signification marxiste, mais quand même).

Que ce soit Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs, Si on m’avait dit et on s’en tiendra là pour le name-dropping, il est fort probable qu’on aie tous entendu du Pigalle, sur le coin d’un zinc cabossé en stade terminal d’oxydation, qu’on l’aie voulu, ou moyennement. Pigalle d’abord, c’est un sculpteur de la noblesse française qui a donné son nom à la fameuse place du 9e arrondissement lutécien. Puis les professions de joies nocturnes et ses facettes de briganderie ont pris le relai, laissant là un pseudonyme de scène lourd de sens mais tout trouvé.

La scène de la chanson française de l’après-guerre, puis des années septante, a été frappée de plein fouet par l’hégémonie du folk-rock étasunien, puis du punk britannique comme tout le monde. Evidemment, le substrat culturo-musical franco-parisien était tout sauf prêt à se laisser conter fleurette, et l’âme de Georges, d’Edith et de Serge n’étaient pas là pour faire de la figuration. Les Béruriers noirs ont eu leur mot à dire dans l’affaire également.

En 1985, un groupe de copains constitué de François Hadji-Lazaro et de trois autres (aujourd’hui tous trois retournés à une vie plus calme) se lance sur une veine rock-folk musette avec des accents punks. Avant, le François avait commencé dans le métro, en plus d’être vaguement enseignant, un apprentissage de l’humilité, ça rend “catcheur au grand cœur”. D’ailleurs il mène en parallèle le pogo avec les Garçons Bouchers, générant une contribution au punk français non-négligeable, aussi avec Boucherie Productions. On ne mentionnera pas les gueules de bois (musicales ou non) avec Manu Chao, Didier Wampas, un gus des Rita Mitsuko et on en passe, c’était le contexte de la scène. Avec sa dégaine de physionomiste d’abattoir crâne rasé en bretelles skinhead originel, on ne s’en émeut pas.

Pigalle c’est de la troubardise pure et simple, c’est une expression d’identité prolétaire et ouvrière sans être identitaire. Être capable de placer ce patrimoine musical qui fait plutôt repoussant et suranné comme le mélodéon, l’orgue de barbarie, l’accordéon, la vielle à roue, la mandoline ou les rythmes de gigue par exemple, c’est fort. De plus, on sait aujourd’hui que les milieux traditionnellement communistes ont une tendance naturelle à lorgner de l’autre coté de l’échiquier, surtout de nos jours. Or là, François, on peut lui faire confiance pour dire et accuser sans faire dans la facilité.

Aujourd’hui on compte plus ou moins huit albums, on ne peut pas parler d’une prolificité à tout épreuve, mais ça laisse des indices sur la qualité de ceux-là. On parlait de naturalisme et de réalisme ailleurs dans d’autres Arts classiques, ici c’est l’hyper-réalisme qui domine. C’est un zoom particulièrement intense, c’est accepter l’absurde comme une composante essentielle du monde, une honnêteté choquante encore aujourd’hui pour certains, hier on n’en parle pas. Une certaine idée de la thérapie sociale en somme, mais tout cela n’est qu’interprétation. En vrai, Pigalle c’est une claque de présent qu’on ramasse, dont on ressort avec des cordes de banjo coincées entre les gencives et un coquard “tout neuf” fait à l’aide d’un accordéon lancé à pleine vitesse dans le museau.

On est dans le vrai, on y est ensemble, on partage.

Pigalle & Guests
21 décembre // Portes 21h
Kalvingrad, 4 pl. des Volontaires – 1204 Genève
18 CHF en préloc (petzi.ch)
22 CHF pour les autres
kalvingrad.com
pigallepigalle.fr