Verbier Valais Bien le Détour

Les Combins ©Nicolas Brodard Verbier Festival

Cette année, redescendre du Verbier Festival n’a pas suffi, il a fallu réatterrir. Nous l’avons fait avec quelques certitudes : la première, c’est que Martin Engström a frappé fort, très fort, il y a 25 ans lorsqu’il a parié sur la création de ce qui est devenu l’un des rendez-vous les plus importants du classique. La seconde, c’est que cette édition a été marquée par des soirées qui resteront indubitablement dans les annales. La troisième, enfin, c’est l’inégalable challenge auquel le directeur fera face lorsqu’il s’agira de concocter une affiche au moins aussi excellente l’an prochain. Retour sur les derniers moments de l’événement incontournable d’un été aux couleurs classique .

Quel bonheur de quitter l’infernale plaine au moment où l’on apprend que le Léman est sur le point de troquer ses puces de canard contre des méduses ! Verbier nous fait oublier la canicule, avec sa traditionnelle météo capricieuse et ses imprévisibles orages. Mais le climat n’est pas le seul oreiller de fraîcheur qui nous est offert car, comme chaque année, la station grouille d’une jeunesse venue des quatre coins du monde pour faire retentir de mille notes les Verbier Festival Orchestra, Verbier Festival Chamber Orchestra et Verbier Festival Academy.

Le programme est presque tous les jours le même : répétition générale à 9 heures et demie, puis concerts à 11 et 19 heures. Les salles sont pleines ou presque, les billets étant partis comme des petits pains avec un succès en augmentation de 16% par rapport à l’année dernière, soit environ 38’000 places vendues. Chapeau ! Chapeau, oui, mais aussi lapins : c’est le jubilé de tous les records, ventes comme annulations, principalement venues de grandes têtes d’affiche, comme Martha Argerich, Denis Matsuev, Radu Lupu ou encore Janine Jansen. Une situation délicate à laquelle les équipes de Martin Engström ont pu remédier, grâce à un travail d’arrache-pied pour trouver des remplaçants parmi les artistes présents dans la station. C’est ainsi qu’on a pu voir, par exemple, Iván Fischer remplacé par nul autre que Sir Simon Rattle, qui nous a offert une magistrale interprétation de la 5ème symphonie de Beethoven dont les vals et montagnes environnants, assurément, se souviendront. Un chef qui sait créer une unique symbiose avec chacun des jeunes musiciens du VFO, qui ce soir-là ont donné le meilleur d’eux-mêmes.

C’est dans l’ambiance intime de l’Église, aménagée en salle de récital allouant à ses bancs leur lot de spectateurs annuel, que le grand Mikhaïl Pletnev a orné la soirée du 1er août de toutes ses couleurs. Aussi délicat que rigide, aussi nuancé que soviétique, il a livré toute sa sensibilité à travers l’idiome rachmaninovien, livrant son coeur à son public à défaut de lui octroyer un sourire.

Sous le même clocher, on retiendra l’extraordinaire performance de Jan Lisiecki, pianiste canadien de 23 ans a la singulière maturité, frappant par le naturel avec lequel il interprète les chefs-d’oeuvre du répertoire romantique. Schumann, Ravel, Rachmaninoff et Chopin ont été sublimés par son doigté de soie, dans ce qui n’était qu’un échauffement pour son grand concert du même soir à la Salle des Combins. Le jeune virtuose y a interprété le Concerto pour piano de Schumann, rétrocédant un brin de légitimité à une soirée dirigée par un Pablo Heras-Casado qui, de toute évidence, découvrait la célèbre partition avec une mesure de retard sur son orchestre.

La Salle des Combins a vibré très intensément au cours des deux derniers soirs du festival, avec deux oeuvres orchestrales et quatre concerti pour piano de Prokofiev. À la baguette, Gianandrea Noseda, grand maestro de sa génération et habitué de nos contrées, qui sait porter la qualité du VFO à son paroxysme. Mémorablement endiablé, presque possédé, Daniil Trifonov a suspendu le cours du temps par sa sublimation du 2ème concerto du compositeur russe. Le premier mouvement à peine entamé – malgré une légèreté qui contraste avec les suivants – les cheveux mi-longs du jeune pianiste transpiraient l’illustre difficulté de la pièce sur un clavier en eaux, glorifiant ce défi technique en un cri du coeur d’une virtuosité implacable, unique, tonitruante et lacrymogène. Le lendemain, au concert de clôture, l’illustre 3ème concerto a résonné à son tour, précédé du 5ème, avec l’imposante Yuja Wang comme soliste. Ses airs fragiles à la ville s’évaporent à la scène, sa présence la muant en une inégalable bête de charisme. Une interprétation élégante et accomplie, dont l’espièglerie aux antipodes des ténèbres de Trifonov n’entame pourtant en rien le brio.

Bien que le public demeure majoritairement grisonnant, on comprend vite que le Festival vit de sa jeunesse. Des centaines de musiciens à peine sortis de l’adolescence travaillent infatigablement durant trois semaines, conférant aux phalanges du Festival leur incroyable qualité. À eux s’ajoute une kyrielle de bénévoles, souvent du même âge, qui font le pied de grue aux quatre coins de la station et courent d’un coin à l’autre quand on a besoin d’eux. Un ensemble qui marche fort et illustre une relève déterminée, laissant présager un avenir triomphal pour ce rendez-vous annuel que nous ne manquerons sous aucun prétexte.

La salle des Combins