Une fois au pluriel

Serge Bloch ©Nicolas Righetti

Le Musée International de la Réforme (MIR) signifie avec sa nouvelle exposition « Il était plusieurs fois, Eve, Noé, Moïse, et beaucoup d’autres » qu’il est possible de lire la Bible en 2019 avec un œil neuf et areligieux. En partant du livre écrit par Frédéric Boyer et illustré par Serge Bloch « Bible. Les Récits fondateurs », l’exposition traite de manière artistique et littéraire quinze récits vétérotestamentaires et la perception qu’on s’en fait. Si les sociétés naissent, fleurissent et s’éteignent, les grands écrits restent et alimentent les générations ultérieures, bien évidemment avec des interprétations qui leur sont propres.

Une Bible interactive

Comme l’indique la racine étymologique biblia, la Bible est un mot au pluriel. C’est avant tout un ensemble de textes qui forme des canons et qui est augmenté ou réduit selon les époques et les confessions. A l’instar des Évangiles, dont seulement quatre furent choisis parmi des dizaines d’autres – les apocryphes – pour coller au mieux à la doxa de l’Église, les textes vétérotestamentaires sont soumis aux époques et à leurs lecteurs. Tandis que les histoires ont tendance à peu changer, la manière de les aborder varie, et restituer leur imaginaire narratif et poétique dans un XXIème siècle majoritairement peu enclin aux sujets religieux peut être un exercice laborieux. Ce n’est donc pas un mince projet qu’ont entamé Frédéric Boyer et Serge Bloch en 2012 avec « Bible. Les récits fondateurs ». Cette bible contemporaine de 500 pages parue aux Éditions Bayard aborde l’Ancien Testament dans un esprit interactif. Les textes sont accompagnés de 2000 dessins et d’un support vidéo grâce auquel 35 récits prennent vie sous la voix d’un narrateur. Cette diversité de supports rend la matière autrement plus accessible et permet à tous de pénétrer la mythologie religieuse sans l’aspect spirituel.

La tour de Babel ©Bayard

Mythes, interprétation et compréhension

Un mythe, une légende ou un conte ne sont pas des histoires données telles quelles. Il est nécessaire de les interpréter pour en extraire la signification. Cette même démarche est reprise dans le cadre de l’exposition du MIR. Avec l’aide de spécialistes de la Bible, Frédérique Boyer a taillé son corpus pour extraire 15 récits sur les 35 que compte originellement le livre paru en 2016. L’intérêt narratif que possède certaines histoires par rapport à d’autres a motivé cette sélection. Et parce que ces histoires sont simples une fois la dimension religieuse évacuée, il faut en fournir un discours clair. Derrière des concepts religieux tarabiscotés se trouvent des notions communes à toutes les époques.

Pour preuve, le mythe du Jardin d’Eden. L’Homme est arraché à l’oisiveté et doit quitter le paradis après qu’Eve a mangé un peu trop goulûment une pomme – une grenade semblerait plus probable. Aussi peu vraisemblable qu’elle puisse être, cette histoire renvoie à un argument tout à fait applicable aujoud’hui. Comment faire en sorte que le désir qui nous porte ne soit pas le désir de ce qui nous nuit, et comment faire en sorte que ce même désir ne soit pas l’expression de l’excès.

Dieu est bon dit-on souvent. Pourquoi diable demande-t-il donc à Abraham de tuer ton fils si violemment ? Le sacrifice humain fait partie de ces sujets tabous qu’il est parfois décourageant d’aborder avec des enfants. Le sacrifice d’Isaac ou Ismaël selon les versions est une entrée en matière qui traite de cruauté, de soumission, de la peur et du sacrifice. Nous sommes aussi les témoins des pluies diluviennes qui s’abattent sur la terre avec l’épisode du Déluge pour ensuite voir la colombe apporter le salut à Noé, un rameau d’olivier au bec. Ce passage connu comme violent de l’Ancien Testament est réinterprété en se basant sur l’étymologie hébraïque de l’arche. À l’origine une petite boîte en bois contenant les objets de culte, l’arche s’est peu à peu transformée dans l’imaginaire collectif en un massif bateau. Par assimilation, on comprend bien que les mâles et femelles de toutes les espèces qui sont réunis dans la coque de noix font écho à ces nombreux objets religieux en boîte. Cette adaptation ne sape en rien l’idée sous-jacente de ce mythe à l’apparence de conte qui voit s’affairer un combat où le vice périt et la vertu sort victorieuse. Quoiqu’en fin de compte, la conclusion a un âpre goût : vouloir tuer les hommes pour éradiquer le péché est illusoire.

Il était plusieurs fois
Du 25 janvier au 19 mai 2019

Musée International de la Réforme
4 Rue du Cloître – 1204 Genève

022 310 24 31
musee-reforme.ch